En juin prochain à l’issue du Critérium du Dauphiné, Romain Bardet raccrochera le vélo. Pour attaquer ces cinq derniers mois de compétition, l’intéressé a opté avec son équipe pour le Tour de l’Algarve, dès le 19 février prochain. Avec toujours autant d’envie et de passion mais aussi un peu plus de recul sur son métier et sa discipline, qui ne prennent pas forcément le bon chemin selon lui.
« A 34 ans, je me sens, pas dans l’équipe mais avec certaines pratiques dans le peloton, un peu en décalage. C’était important d’arrêter en étant un coureur de premier plan et sans commencer à me poser des questions sur les manières d’envisager mon métier par rapport à la tendance globale du moment, souffle-t-il dans un entretien fleuve accordé à L’Equipe. J’ai connu un modèle où les équipes s’adaptaient aux coureurs et là, c’est l’inverse. Il y aura de moins en moins de place pour l’expression de son être profond au sein d’un calendrier aussi dense et d’effectifs aussi structurés. »
Romain Bardet l’affirme, son sport a changé et ce aux dépens des coureurs les plus spontanés. « Maintenant, au niveau des équipes, c’est structuré de façon que le coureur rentre dans un moule et doit se conformer à un plan de performance très précis. Je m’imposais pas mal de contraintes mais il y avait un côté autodidacte intéressant intellectuellement. De moins en moins maintenant. Les coureurs sont de plus en plus des exécutants de cet aspect scientifique qui recouvre la sphère du vélo: nutrition, sommeil, récupération, les phases de stage, de courses… Il y a beaucoup moins de place pour l’improvisation et une certaine idée de trouver son chemin soi-même. C’est trop stéréotypé. Ce modèle ne convient pas à tout le monde, cela va devenir une grande lessiveuse. »
« Je suis très inquiet »
Cet hyper-contrôle dénoncé par le coureur de la formation Picnic PostNL n’est évidemment pas sans danger pour son art, Romain Bardet craignant la lassitude du public. « Je suis très inquiet. Si nos instances ne légifèrent pas à court terme sur ce plan, on va avoir de gros problèmes pour l’attractivité du vélo: les gens ne vont plus regarder les courses. Certains diront qu’on se nourrit de grands duels, qu’il n’y a pas besoin de l’incertitude du sport ni des petites équipes. Je crois au contraire qu’on va avoir deux ou trois vitesses dans l’économie du cyclisme et que cela ne sera plus tenable pour les équipes de seconde partie de tableau s’il n’y a pas une meilleure redistribution. […] Il faut une certaine équité en termes de moyens alloués, un équilibre. Si on se projette à trois ans, sur les plus grandes courses du monde et le Tour de France, on sait quelles équipes vont les gagner. »
Et de suggérer une possible solution: « On pourrait instaurer un système un peu moins archaïque pour le recrutement des jeunes talents, un système de draft avec un salary cap, en réduisant pourquoi pas la taille des équipes sur les plus grandes courses. Cela permettrait d’inviter plus d’équipes et les courses seraient plus difficilement contrôlables et cadenassées, l’intérêt sportif grandirait. Le système mis en place par l’UCI de montées-descentes, cela tue un peu le sport, il ne répond pas aux objectifs fixés. Cela partait d’une bonne idée mais on voit que les équipes de bas de tableau peinent à trouver des fonds nécessaires pour survivre et se projeter sur le long terme par rapport aux mastodontes qui dominent le cyclisme. »