Historique, épuisant et complexe, ce biopic dépeint un homme aussi passionnant qu’ambivalent, mais qui a le malheur de tomber dans un film-procès aux dialogues incessants
Oppenheimer c’est quoi ? “En 1942, convaincus que l’Allemagne nazie est en train de développer une arme nucléaire, les États-Unis initient, dans le plus grand secret, le “Projet Manhattan” destiné à mettre au point la première bombe atomique de l’histoire. Pour piloter ce dispositif, le gouvernement engage J. Robert Oppenheimer, brillant physicien, qui sera bientôt surnommé “le père de la bombe atomique”. C’est dans le laboratoire ultra-secret de Los Alamos, au cœur du désert du Nouveau-Mexique, que le scientifique et son équipe mettent au point une arme révolutionnaire dont les conséquences, vertigineuses, continuent de peser sur le monde actuel…”
L’essentiel
Ce film est une adaptation du livre Robert Oppenheimer – Triomphe et tragédie d’un génie de Kai Bird et Martin J. Sherwin. Le scénario suit à peu de choses près le livre et se révèle être proche de la réalité historique. En tout cas telle qu’elle est racontée aux Etats unis car le terrain où la bombe atomique a explosé était en réalité habité par des gens. Des personnes auraient été exposées à des radiations mais à l’époque le sujet n’était peut-être pas une priorité. Quoi qu’il en soit le film ne mentionne pas ce problème mais s’attarde sur la vie et l’ambivalence d’un ingénieur brillant, oscillant entre culpabilité et fierté, au milieu d’un incroyable mic-mac politique et relationnel. Dans ce film, le CGI est absent, Christopher Nolan adepte des scènes d’action réelles, a demandé à son équipe d’utiliser tous les moyens possibles pour pouvoir filmer quelque chose de tangible. Similaire à une explosion atomique.
Le scénario a été écrit par Nolan lui-même et son film a nécessité un faible budget comparé à ses films précédents : 100 millions de dollars. Cela est notamment du aux rares scènes d’actions réalisées. Mais aussi au fait que des acteurs comme Matt Damon, Robert Downey Jr ou Emily Blunt qui d’accoutume prennent des cachets entre 10 et 20 millions, ont cette fois accepté de prendre 4 millions chacun. Pas de cupidité quand on tourne avec Nolan. C’est la deuxième fois que Nolan aborde la 2e guerre mondiale après Dunkerque (2017). Cette fois-ci la BO du film est composée, non pas par Hans Zimmer, qui a contribué aux plus grands succès du réalisateur (Interstellar, The Dark Night, Inception…), mais par le suédois Ludwig Göransson (The Mandalorian, Black Panther). Quand au personnage principal il est incarné par Cillian Murphy, qui n’a pas hésité à perdre beaucoup de poids pour endosser le costume de Dr. Oppenheimer, se nourrissant exclusivement d’amandes, de martinis et de cigarettes (comme le vrai Oppenheimer).
On aime
Christopher Nolan a déclaré à propos de son film : “Je voulais plonger le spectateur dans l’esprit et la vie d’un être qui s’est retrouvé à l’épicentre des plus grandes mutations de l’histoire. Qu’on le veuille ou non, J. Robert Oppenheimer est la personne la plus importante qui ait jamais vécu. Il a façonné le monde dans lequel nous vivons, pour le meilleur et pour le pire. Et il faut se plonger dans son parcours pour y croire.” Le réalisateur choisit toujours pour ses films des sujets très profonds avec des personnages très complexes et extrêmement humains. Une fois de plus c’est un pari gagné. Quoi de plus profond et humain que cet ingénieur qui a changé à jamais la face du monde ? Surtout demeure cette ambivalence qu’incarne si bien Cillian Murphy tout au long du film. Si on repproche au film son manque d’action, il faut avouer que la scène d’explosion de la bombe ne manque pas de panache. Comme une mise en abîme, Dr Oppenheimer contemple sa création avec des lunettes, comme le spectateur dans la salle obscure. L’ absence de son lors de l’explosion est un pari risqué mais probant, en effet quoi de mieux pour transmettre l’étonnement (au sens propre) qu’un silence plombant. Une atmosphère très imposante, terrible et magnifique.
Le rythme du film est très dynamique, ce qui est important pour un film de 3h, mais ce rythme est essentiellement animé par la parole. La mise en scène est comme toujours impressionnante et ne manque pas de cadrages spectaculaires. La musique quant à elle est omni-présente, comme un morceau tout au long du film, elle fait l’effet d’un film opéra. Entre la musique et les dialogues incessants, se dessine en filigrane le portrait d’un homme complexe, brillant et touchant. Un génie au yeux bleus écarquillés dans un costume large, portant un chapeau et fumant constamment. C’est une silhouette de cinéma, un acteur qui embrasse la réalité d’un personnage historique de façon troublante. C’est lorsqu’on plonge dans l’intimité des songes et de la culpabilité de Oppenheimer que le film parait brillant. En particulier ces scènes fantastiques où Oppenheimer, sous des nuées d’applaudissements, se met à imaginer la bombe exploser au beau milieu de cette foule qui l’acclame. Comme un rappel de conscience, un succès non mérité, qui a poussé cet ingénieur a parler toute sa vie de manière extrêmement mesurée. In fine, le sujet du film et le choix de l’homme pour faire ce biopic sont les meilleures qualités du film.
On aime moins
3h de film et… une seule scène d’action. Quelle déception pour les fans des films à sensations fortes, que Nolan maitrise pourtant si bien. Cette fois-ci le parti pris est celui du biopic et de l’intimité d’un ingénieur plus que des scènes à couper le souffle. Loin de l’action de Tenet, des rêves dingues de Inception ou des numéros fous du Prestige, Oppenheimer est un film lent et bavard. C’est le grand défaut du film : tomber dans un film procès interminable où les dialogues deviennent volubiles, tant le nombre de protagonistes et de problèmes sous jacents y sont abordés. On a l’impression que le réalisateur a voulu en dire trop. Parce qu’avec Tenet, le public a critiqué le manque d’explication, dans ce long métrage Christopher Nolan en fournit trop. Ce débit incessant de parole engouffre le film dans l’enfer judiciaire d’Oppenheimer dont ce dernier a été victime en 1954. Soupçonné d’être un espion pour l’union soviétique, sur fond de maccarthysme, l’infernal procès prend de plus en plus de place au fur et à mesure du film. Les intervenants se multiplient, et la cacophonie s’installe.
On peut également déplorer les prestations de Matt Damon général en charge du projet et Emily Blunt en épouse. Ils sont convaincants mais pas épatants. C’est réellement le sujet qui rattrape les lacunes du film, et plus précisément le fait qu’Oppenheimer a poursuivi son but : créer la bombe avant les nazis, tout en sachant qu’un risque de faire exploser la terre existait. Ce sujet passionnant de la technologie qui dépasse l’évolution. Cependant l’oscillation des séquences noires et blanches en des séquences couleurs n’est pas évidente du tout, voir injustifiée. Enfin le film témoigne d’une chose : Nolan a voulu tout explorer et tout expliquer en même temps, sans avoir de parti pris. C’est ce qui donne au film un effet de pétard mouillé. Surtout, à force de trop vouloir faire, Christopher Nolan n’a pas respecté une des règles primaires du cinéma qui est : “Show don’t tell”. Un film auquel on supprimerait volontiers 1h…
A lire aussi : On regarde ou pas ? Anatomie d’une chute de Justine Triet
Cet article On regarde ou pas ? Oppenheimer, le dernier Nolan est apparu en premier sur VL Média.