Depuis le début du conflit en Ukraine, l’armée russe bombarde les réserves de céréales des habitants du pays. Cela leur fait craindre un nouvel « Holodomor », une « extermination par la faim » comme celle menée par Staline en 1932-1933.
Le spectre de la famine
En plus des missiles, l’armée russe utilise aussi la faim comme une arme de guerre. Elle bombarde en effet des champs, saisit des stocks de blés, paralyse les exportations pour prendre le contrôle des réserves de céréales ukrainiennes. Cela fait craindre à l’ONU un « ouragan de famines » du côté des pays africains. Mais du côté ukrainien, la crainte est notamment celle d’un nouvel Holodomor. Ce terme signifie en ukrainien « l’extermination par la faim » et fait référence à l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du pays.
1930 : une Ukraine en plein essor industriel
Pour le comprendre, il faut revenir en 1932. Depuis environ 10 ans, l’Ukraine fait partie de l’Union soviétique. Cette république est également en plein essor industriel. Elle représente en effet 18% de la production industrielle de l’URSS et 22,5% de son exploitation agricole. La population ukrainienne bénéficie alors depuis 1921 de la NEP (Nouvelle Politique économique) instaurée par Lénine. Celle-ci vise à réintroduire le droit à la propriété privée pour faire face aux grandes difficultés économiques du communisme en URSS. Mais après son arrivée au pouvoir en 1924, Staline clôt cette parenthèse et procède à une nationalisation. Son but est d’éviter le développement d’une économie de marché et la montée des nationalismes.
La réponse de Staline
L’agriculture est dès lors collectivisée et les paysans ukrainiens se rebellent. En effet, en février-mars 1930, on compte plus de 100 foyers de révolte sur le sol ukrainien. Les tensions sont donc extrêmement fortes entre Staline et les Ukrainiens, et elles l’étaient déjà auparavant. Franck Sysyn, professeur d’histoire et directeur de l’Institut canadien d’études ukrainiennes à l’Université de l’Alberta, explique également que « Staline avait une animosité, une colère envers les Ukrainiens [à cause de la guerre d’indépendance ukrainienne de 1917-1921]. »
Staline avait une animosité, une colère envers les Ukrainiens [à cause de la guerre d’indépendance ukrainienne de 1917-1921]. […] Selon lui, les Ukrainiens devenaient trop Ukrainiens et les paysans formaient un noyau de nationalisme.
Franck Sysyn pour Radio Canada
Face à cette situation, Staline lance l’Holodomor. Il décide ainsi dès 1932 d’envoyer des « brigades de choc » pour ravager les fermes, dépouiller les réserves de grains et confisquer les semences. La police politique multiplie aussi les arrestations et les dirigeants communistes locaux sont envoyés au goulag. En réponse à une lettre de l’un d’entre eux, Staline écrit « Je te conseille de t’inscrire à l’Union des écrivains. Là, tu pourras écrire tes fables et les imbéciles te liront. » Le 7 août est ensuite promulguée la « loi des épis » qui condamne à la peine de mort toute personne qui garde sur soi des grains de blé ou de seigle.
Des millions de morts
En un peu plus d’un an, la famine qui éclate pendant l’hiver cause la mort d’environ 3 à 5 millions d’habitants (en fonction des estimations). Des cas de cannibalisme ont même été rapportés. Cet exemple a ainsi servi au juriste polonais Raphael Lemkin lorsqu’il utilise pour la première fois le terme de génocide. Ce dernier sera ensuite défini par Hannah Arendt comme « un processus systématique d’extermination d’un peuple », un terme qui s’applique donc bien à l’Holodomor.
Le journaliste britannique Gareth Jones, dont le récit a été adapté dans le film L’Ombre de Staline (2019), s’est rendu sur le terrain en 1933. L’Holodomor est alors ignoré par la reste du monde. Il raconte : « Dans le train, un communiste à qui je posais la question de la famine, en a nié l’existence. J’ai jeté un croûton de pain dans un crachoir. Un paysan qui partageait notre compartiment s’en est emparé comme s’il n’avait pas mangé depuis des jours. Puis j’y ai jeté l’écorce d’une orange, et ce paysan l’a dévorée ».
L’épisode reste aujourd’hui ancré dans les mémoires ukrainiennes et la stratégie de Vladimir Poutine rappelle ainsi celle de Staline.
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