Après une première année avec l’équipe Meyer Shank Racing en IndyCar, le pilote français Simon Pagenaud fait le bilan sur sa saison pour VL Media, ainsi que sur sa carrière automobile.
Aspiré plus jeune à s’occuper d’un centre commercial après des études dans le business, le pilote poitevin est aujourd’hui l’un des pilotes automobile français les plus décorés en activité à 38 ans. Le champion 2016 d’IndyCar et vainqueur des 500 Miles en 2019 nous fait le plaisir de revenir sur son parcours haut en couleur, l’occasion de faire un résumé sur sa onzième saison dans la catégorie reine américaine. Sa première avec les couleurs de Meyer Shank Racing après sept années passées chez Penske.
L’INTERVIEW
Bonjour Simon, quel plaisir de t’avoir aujourd’hui ! Pour les lecteurs de VL, présente toi.
Simon Pagenaud, je suis français, je vis aux Etats-Unis depuis plus de 15 ans et je suis pilote d’IndyCar. J’ai remporté le championnat en 2016, les 500 Miles d’Indianapolis en 2019 ainsi que les 24 Heures de Daytona cette année.
Depuis quand voulais tu être pilote automobile ?
Depuis l’âge de 4 ans ! C’est plus qu’une passion, ça coule dans mon sang. Je jouais avec des petites voitures, j’étais très intéressé par tout ce qui était à moteur puis mon père a eu la mauvaise idée de me mettre sur un quad à l’âge de 3-4 ans, et c’est parti.
A 7 ans, je suis monté sur un karting pour la première fois et j’avais des facilités de pilotage que d’autres enfants n’avaient pas, puis les choses se sont mises en route après.
Tu as commencé dans les formules de promotion en Europe avant de faire de la Formule Atlantic, et tu es allé en Champ Car pour la dernière année en 2007 avant de partir en Endurance. Est-ce que ce n’était pas difficile de passer des monoplaces aux voitures d’endurance juste après ?
C’était une période difficile parce que j’avais tout parié sur les Etats-Unis fin 2005 pour venir faire la FA que j’ai remporté un an après, ce qui m’avait permis de devenir pilote professionnel avec Team Australia en Champ Car. Malheureusement le championnat s’est arrêté à la fin de l’année 2007. Il y’avait une compétition entre Champ Car et IndyCar et les patrons de cette dernière ne prenaient pas les pilotes de la concurrence.
J’ai essayé de rediriger ma carrière vers l’Endurance puisqu’à cette époque là, elle démarrait un super cycle avec notamment Porsche, Audi et Peugeot qui montraient de l’intérêt pour les 24 Heures du Mans et il fallait que je trouve un programme avec un constructeur. Je me suis dit que je vais tenter de montrer ma pointe de vitesse grâce à mon expérience de pilote monoplace et d’aller en Endurance : ça a marché puisque Acura m’a pris avec l’écurie Gil de Ferran en 2008 (dans le championnat American LeMans Series, ndlr) et ça m’a permis de faire mes premières 24 Heures du Mans avec Oreca, puis d’être pilote officiel Peugeot par la suite. C’était une période à rebondissements car c’était stressant, j’étais sans volant pendant un petit moment et après les choses ont décollé. J’étais plutôt chanceux.
En ayant roulé en Champ Car, quelles sont les différences entre le châssis avec lequel tu as conduit et celui que tu as actuellement ?
Il y’a beaucoup de différences ! La Champ Car que j’ai piloté en 2007 était équipée un moteur atmosphérique V8, elle était très longue en empattement donc relativement stable, mais un peu lourde à manipuler. On n’avait pas l’aeroscreen, donc un centre de gravité plus bas. C’est une voiture très différente. Honnêtement, j’étais encore jeune à ce moment-là et je n’avais jamais piloté une voiture avec autant de puissance.
Je me rappelle de mes premiers essais : accélérer en ligne droite et avoir mon corps qui était poussé en arrière, je pouvais à peine respirer tellement il y’avait une forte poussée ! C’était une monoplace qui faisait quand même 800 chevaux à l’époque, c’était ma première voiture avec beaucoup d’appui aérodynamique et de puissance. Celle qui m’a le plus impressionné ensuite, c’était la Peugeot avec le moteur V12 au Mans où j’avais atteint les 350 km/h la nuit, une superbe période ! Aujourd’hui en IndyCar, on a un V6 avec deux turbos BorgWarner, et on développe presque 800 cheveux. Evidemment, les pneus sont différents et l’aérodynamisme aussi.
Evoquons tes débuts en IndyCar ensemble. Trois premières courses en 2011, rookie de l’année en 2012, première victoire en 2013 puis arrivée chez Team Penske en 2015 avec un sacré panel de pilotes : Juan-Pablo Montoya, Hélio Castroneves et Will Power. Quelles sont les leçons que tu as pu tirer de ces premières années qui t’ont conduites à ton premier titre en 2016 ?
C’est une super bonne question ! En effet on rencontre des coéquipiers, des pilotes, des patrons d’écurie et des ingénieurs au fur et à mesure d’une carrière, et on gravite dans une industrie où on rencontre de nouvelles personnes qui ont toutes des philosophies de travail différentes. C’est hallucinant parce qu’on travaille tous pour faire le tour le plus rapide et on est tous dans la dixième de secondes, mais la plupart des pilotes et ingénieurs pensent totalement différent.
De 2012 à 2014, j’ai eu de bons coéquipiers mais j’ai été souvent tout seul dans l’équipe avec une seule voiture. Il a fallu que je me construise un peu tout seul dans la catégorie et que j’apprenne de moi-même, mais y’a des avantages et des inconvénients : l’équipe était développée autour de moi, la voiture était réglée uniquement pour moi. Cependant au niveau personnel, il y’avait forcément un doute, en me demandant si je faisais les choses correctement. Il faut en être convaincu.
Quand je suis arrivé chez Penske, il y’avait Montoya, Castroneves et Power. Et ce qui a été hyper intéressant de se rendre compte, c’est que eux aussi ils faisaient des choses totalement différentes les uns des autres, et il fallait que je trouve le coéquipier qui avait mieux me convenir en termes de réglage de voiture. Je me suis beaucoup rapproché de Montoya, et en pilotage j’ai essayé de copier ce que faisait Power, qui est extrêmement rapide. C’est ça qui m’a conduit en 2016 à mettre tout bout à bout et d’aligner un championnat presque parfait.
Il y’a trois ans désormais, tu as remporté la course automobile la plus rapide du monde, les 500 Miles d’Indianapolis. Quel effet ça t’a fait de remporter cette épreuve si historique ?
J’en ai encore la chair de poule rien qu’à en parler, donc voilà les sensations que ça apporte ! Pour moi c’était un rêve. Il faut essayer de se mettre à ma place : en 2005, j’étais à la porte de la Formule 1, les choses ne se sont pas faites et j’ai dû me rediriger vers autre chose. J’ai dû quitter la France pour aller aux Etats-Unis afin de reconstruire toute une nouvelle carrière, c’est quand même un gros déplacement et un gros pari !
En 2008, le Champ Car s’arrête et je redirige ma carrière vers l’Endurance. Je ne suis pas sûr de pouvoir revenir vers l’IndyCar à ce moment-là et mon rêve de remporter les 500 Miles est quasiment perdu, donc je me focus sur une victoire aux 24 Heures du Mans. 2012, j’ai cette chance de revenir et mon rêve instinctif est de remporter le championnat. Une fois que je l’ai remporté, j’ai tout fait pour gagner les 500 Miles par la suite : ça a fonctionné, et c’était vraiment impossible car en tant que pilote français sans beaucoup d’expérience sur les ovales, c’est une catégorie qu’on ne comprend pas vraiment donc il a fallu que j’y travaille beaucoup et le rêve est devenu réalité ! Encore aujourd’hui, c’est le moment de ma carrière où je suis le plus fier car j’ai réussi quelque chose qui était quasiment impossible. Une grande réussite.
C’est anecdotique, mais tu es l’un des rares sportifs à avoir visité la Maison Blanche sous la présidence de Donald Trump !
C’est un super souvenir aussi, car tout ce que j’ai réussi à accomplir avec mon talent et le travail à travers toutes les années de mon existence, d’en arriver là et de me dire, en venant d’une petite ville comme Montmorillon (Vienne), que grâce à tout ça j’arriverais à aller à la Maison Blanche, la visiter avec ma femme et toute mon équipe et avoir la chance de prendre des photos dans le Bureau ovale avec le trophée… C’était incroyable.
On peut parler politique, mais très honnêtement c’était l’opportunité de la visiter et de pouvoir vivre cette expérience. Ça aurait été dommage de ne pas la faire car on le fait qu’une fois dans sa vie : en effet c’était un certain Président à ce moment-là, mais pour moi c’était plus à l’image de ce que j’avais fait dans ma carrière et l’opportunité d’aller à la Maison Blanche qui était extraordinaire. J’aurais aimé pouvoir aller à l’Elysée également, peut-être un jour je l’espère !
Revenons désormais la saison que tu viens de passer. Après avoir intégré Meyer Shank Racing, tu termines à la quinzième place du championnat 2022 (314 points), avec sept arrivées dans le top 10 et le podium sur le circuit routier d’Indianapolis en mai. Comment décrirais-tu ta première saison avec cette nouvelle team ?
Ça été une grosse adaptation et un gros changement puisque je passe de l’équipe qui a le plus d’années d’expérience à celle qui en a le moins car c’est l’équipe toute jeune, donc il y’a beaucoup de choses à construire ; c’est un challenge qui m’intéressait énormément parce que je suis un pilote qui est très impliqué au niveau technique, j’aime beaucoup le management de par mes études que j’ai fait dans le business, ce sont des qualités que j’ai et je ne pouvais pas exploiter chez Penske puisque c’est une écurie bien établie et qui estime que leurs pilotes sont là pour conduire la voiture et faire du mieux qu’ils peuvent, c’est là qu’une équipe pareille soutient ses pilotes et leur permet d’accomplir ce qu’ils accomplissent.
Chez MSR on est sur le début d’un cycle, il faut construire ensemble et c’est ce que je voulais faire. Un travail un peu différent, pas seulement de pilote mais aussi de conseiller sur les directions à prendre au niveau des développements de la voiture dans le futur mais aussi de l’équipe pour le futur. Ca me passionne mais évidemment on n’était pas prêts à se battre pour le championnat cette année : on finit 15e, ce qui est décevant puisqu’on a un potentiel qui était d’être 8e, on l’était à mi-saison, malheureusement on a eu beaucoup de problèmes mécaniques en fin de saison qui ont fait qu’on s’est écroulés au classement et ca ne montre pas notre potentiel.
Mais pour moi, huitième, c’était là où on se situait et l’année prochaine le but sera d’être dans les six si on redresse la barre, puis après ce sera de se battre pour le championnat dans le futur. Mais très honnêtement, ce serait mentir que de dire qu’on peut se battre aujourd’hui car on n’en est pas encore capables, et c’est en ça que le challenge est hyper intéressant.
Après ton podium au Grand Prix GMR, tu nous disais que les médias se focalisent souvent sur les résultats mais finalement, il faut construire et avancer pas à pas.
Il y’a tellement d’éléments à mettre en place pour arriver à un résultat, c’est la solution de l’équation mais elle est longue avant d’en arriver à là ! On a beaucoup de choses qui ont fonctionné, d’autres non, des moments où on aurait dû exécuter les tâches un peu mieux pendant les week-ends. A nous maintenant de nous assoir et de comprendre comment progresser pour la saison prochaine et ajuster tous ces éléments. C’est passionnant mais ça prend beaucoup de temps, ça explique pourquoi il y’a des écuries qui dominent et d’autres pas. On doit mettre les choses en place pour qu’on domine dans le futur. Mais ‘’Rome ne s’est pas construite en jour’’ comme mon grand-père disait (rires).
Mais c’est fou d’ailleurs la différence entre les équipes alors que vous avez tous le même châssis et qu’il n’y a que deux motoristes en IndyCar !
Tout n’est pas bien expliqué, y’a plus que ça au niveau technique : d’origine on a le même châssis, les mêmes pneumatiques et les mêmes moteurs. Celui de Chevrolet est un peu plus performant dans certains domaines et le moteur Honda l’est plus dans d’autres. Maintenant, il y’a la partie amortissement qui n’a pas de règlement donc on peut faire tout ce qu’on veut. On a un système qui est très compliqué et qui est devenu très complexe puisque la voiture existe depuis 11 ans maintenant, donc y’a un développement qui est fait sur l’amortissement depuis des années et qui permet aux écuries de performer différemment chaque année.
Pour donner une idée en termes de ressentis entre la voiture de Penske et celle que j’avais cette année chez Meyer Shank Racing : si j’avais les yeux bandés, je n’aurais pas pu dire que c’était une Indycar que je pilotais là ! C’est juste très différent, il y’a énormément de développement qui se fait dans les coulisses qu’on ne voit pas forcément.
Parlons rapidement de cette édition 2022 des 500 Miles sur laquelle tu en avais fait ta priorité cette année : parti seizième, tu termines huitième. Quels ont été tes ressentis cette année, et est-ce que tu penses qu’il y’avait quelque chose à faire si il y’avait plus de tours après le red flag en fin de course ?
J’étais sixième et j’ai perdu deux positions à la dernière relance, j’ai tenté quelque chose qui n’a pas marché mais je pense honnêtement que quatrième, même cinquième, ça aurait été la meilleure position qu’on puisse faire. On avait une bonne voiture, constante mais avec Hélio on manquait un peu de pointe de vitesse par rapport aux voitures de chez Ganassi et on l’a vu car ils se sont battus à l’avant-poste. On n’en avait pas assez pour remonter et se battre pour la victoire.
Mais je pense honnêtement que c’est l’une des courses où on a le mieux performé en tant que groupe et moi en tant que pilote aussi, on a extrait le maximum de ce qu’on avait. Je trouve que l’équipe a fait de bonnes choses dans la façon d’avoir géré les essais et les qualifs, il y’a eu très peu de panique, ce qui est très rare en général à Indianapolis ! Souvent on panique avec le format du week-end, la météo qui change sans arrêt, la piste qui va plus vite à certains moments de la journée que d’autres… C’est un circuit où on peut se perdre très rapidement et mon équipe a été très sereine.
On revient sur l’Endurance : tu as remporté les 24 Heures de Daytona en ce début d’année, et Meyer Shank Racing a un programme LMDh avec Acura dans le championnat nord-américain d’endurance (IMSA). La catégorie LMDh intégrera le championnat du monde d’endurance (WEC) l’année prochaine, est-ce que ça te donne des idées pour une éventuelle participation des 24 Heures du Mans à l’avenir ?
Bien sûr ! Là on vient de découvrir le calendrier d’IndyCar pour la saison prochaine et il se trouve que le weekend du Mans est libre, donc il y’a encore plus de désir de trouver une solution pour y participer. Si Acura souhaite m’avoir et me faire participer au voyage, j’en serai ravi ! Mais si ce n’est pas eux, j’aimerais revenir ça c’est sûr.
J’aimerais reparticiper au Mans pour essayer de remporter cette victoire qui m’a manqué quasiment de rien en 2011, donc c’est une course que je souhaiterais avoir au tableau de chasse mais c’est aussi pour moi une épreuve qui a une signification un peu spéciale, puisque c’est la première course automobile que j’ai vu : on était venus avec mon père avec une Renault Express à l’époque et je me rappelle très bien d’avoir vu la Jaguar avec les roues couvertes qui passait en ligne droite avec ce bruit magnifique. C’est mon premier souvenir de course automobile en tant qu’enfant.
Dans un championnat où les courses font 90 à 250 tours, avec seulement deux types de pneus (softs et durs) et des ravitaillements en essence, comment arrive-t-on à définir une stratégie en IndyCar?
C’est un point très important, ça fait parti du travail qu’on va faire cet hiver pour revenir et avoir des scénarios préprogrammés qui nous permettent de choisir plus facilement dans des moments de stress. Ce qui est très compliqué en IndyCar, c’est qu’il y’a souvent des incidents à tout moment et la direction de course peut sortir le Safety Car et il a tendance à ressortir les cartes et à relancer une nouvelle stratégie de course derrière. C’est très difficile d’avoir une stratégie préétablie avant la course à cause de ça : parfois on peut être au milieu du peloton et ça peut se retourner en sa faveur. Donc c’est pour ça qu’il faut toujours savoir s’adapter.
La direction de course a tendance à laisser les stands ouverts un peu plus longtemps pour laisser l’opportunité à tout le monde de pouvoir ravitailler lors d’un incident et de ne pas perdre leur position en course ensuite. Donc il y’a un changement auquel il faut s’adapter et ça fait parti des choses qu’on analyse cet hiver pour revenir plus forts l’année prochaine, avec des stratégies qui nous permettent d’être mieux placés. Mais très honnêtement, c’est une grosse partie du travail d’étude que nous faisons avant chaque course.
»Le petit digestif »
Trois questions rapides pour Simon.
Ton rituel avant chaque course ?
La méditation.
Ton circuit préféré hormis Indianapolis ?
Ça doit un circuit où j’ai déjà roulé… Donc Spa Francorchamps.
Le jeu de la mort : une qualité et un défaut sur Hélio Castroneves !
Je vais commencer par le défaut comme ça je finirais sur le positif ! Alors un défaut…. Ben il a le sang chaud, comme un Brésilien ! Ça peut être une qualité mais c’est aussi un défaut.
Et une grosse qualité d’Hélio, il est hyper positif dans tout ce qu’il fait et du coup il emmené le groupe avec lui. Positive attitude !
Interview réalisée par Vincent Chardac.
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