Aujourd’hui quasiment disparu des kiosques, l’hebdomadaire controversé a longtemps représenté le centre de gravité de l’extrême-droite française, où se croisaient de grands noms du journalisme et de la vie intellectuelle. Certains d’entre eux, comme Patrick Buisson ou Jean Montaldo, sont toujours en vie et continuent de peser, à leur échelle, sur le débat public.
Torchon raciste et antisémite pour les uns, fanzine culte de l’alt-right pour les autres, l’hebdomadaire d’extrême-droite Minute occupe une place à part dans le paysage médiatique français. Fondé en 1962 par l’ancien résistant Jean-François Devay – issu du Parti communiste –, le journal est à ses débuts spécialisé dans l’actualité showbiz et people – tout en adoptant, d’emblée, un ton satirique qui en fait, en quelque sorte, le pendant droitier du Canard Enchaîné. Le milieu des années 60 marque le début de la dérive de la rédaction de Minute vers un virulent antigaullisme puis, progressivement, vers l’extrême-droite à proprement parler. La victoire, au début des années 1980, de François Mitterrand, et l’arrivée au gouvernement de ministres communistes participent à l’explosion du lectorat de l’hebdomadaire, dont le tirage atteint alors les 250 000 exemplaires par semaine.
Fervent soutien du Front National, Minute passe ensuite entre les mains de plusieurs repreneurs, sans parvenir à endiguer l’irrémédiable chute de ses ventes. Racheté en 2002 par Jean-Marie Molitor, un proche de l’Action française et des milieux royalistes, le journal continue sa dégringolade pour finir, au début des années 2010, par ne plus dépasser les 3 000 exemplaires hebdomadaires. C’est à cette époque que la rédaction signe son ultime chant du cygne, avec la parution, en 2013, d’une « une » comparant la garde des Sceaux de François Hollande et artisane du mariage pour tous, Christiane Taubira, à un singe ; le tollé est à la hauteur de la provocation et replace, fugacement, Minute sur le devant de la scène médiatico-politique. Placé en redressement judiciaire en 2019 et liquidé l’année suivante, l’hebdomadaire quitte définitivement les kiosques pour n’être plus distribué que par abonnement et sur un site Internet qui ne semble plus actualisé depuis 2020.
Des figures de l’extrême-droite française qui continuent de peser sur le débat public
Abonné aux scandales, provocateur dans l’âme et même volontiers outrancier, le journal d’extrême-droite n’en a pas moins compté dans ses rangs certains des plus grands noms de l’intelligentsia journalistique, artistique et économique française. Figuraient ainsi parmi ses actionnaires de départ rien de moins que Françoise Sagan, Fernand Raynaud, Juliette Gréco, Marcel Dassault ou Eddie Barclay. Minute a également compté dans sa rédaction certaines des plumes les plus affutées de leur époque. Georges Bernier, plus connu sous le pseudonyme de Professeur Choron et qui fonda les légendes Hara-Kiri et Charlie Hebdo, collabora ainsi régulièrement à l’hebdomadaire. Sans surprise cependant, la rédaction de Minute verra passer un certain nombre de personnalités marquées très à droite de l’échiquier politique français : Jean-Marie Le Pen, qui honorera le service publicité d’un bref passage ; Serge de Beketch, qui en sera le rédacteur en chef avant d’être nommé par le patron du FN à la direction de National-Hebdo et de fonder Radio Courtoisie; ou encore l’éditorialiste et antisémite notoire François Brigneau.
Si la plupart d’entre-elles sont aujourd’hui décédées, certaines des grandes signatures de Minute sont toujours en vie et continuent, à leur échelle, d’influencer le débat public. Ainsi de Patrick Buisson, sans doute le plus connu des survivants de la « grande époque » de l’hebdomadaire. Figure tutélaire de la droite française, Buisson entre à Minute en 1981, avant d’en devenir le correspondant officiel à l’Assemblée nationale puis d’être nommé rédacteur en chef, poste qu’il occupera de 1986 à 1987, après quoi il rejoindra Valeurs Actuelles. Tête pensante de Nicolas Sarkozy, c’est lui qui conceptualisera le « virage à droite » du candidat, avant de l’accompagner à l’Elysée où il demeurera le conseiller officieux du président. Tombé en disgrâce à la suite de l’échec de Sarkozy en 2012, Patrick Buisson fait de nouveau parler de lui quand est révélée au grand jour sa fâcheuse habitude d’enregistrer ses réunions et conversations avec l’ancien chef de l’Etat, et quand éclate l’affaire dite « des sondages de l’Elysée », pour laquelle il est condamné, en janvier dernier, à deux ans de prison avec sursis et 150 000 euros d’amende.
Autre figure emblématique de Minute, Jean Montaldo rejoint l’hebdomadaire en 1964. Issu d’une des plus anciennes familles de pieds-noirs, celui qui se définit lui-même comme un « libéral anti-conformiste » est un grand traumatisé de la fin de l’Algérie française, qui représentera pour lui une « blessure » jamais vraiment cicatrisée. Après son passage au journal pendant de nombreuses années, Montaldo se spécialise plus tard dans la dénonciation des affaires émaillant les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac dans de nombreux best-seller, comme « Mitterrand et les 40 voleurs » publié chez Albin Michel, la même maison d’édition qu’Eric Zemmour ou Philippe de Villiers.
Moins connus que Buisson et Montaldo, d’autres anciens de Minute continuent eux aussi de mener une vie publique : ainsi, par exemple, d’Arnaud Folch, un autre nostalgique de l’Algérie française, passé par Valeurs Actuelles avant d’atterrir, l’année dernière, à la tête de la communication de la ville de Perpignan dans les bagages du maire Rassemblement National, Louis Alliot.
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