Marie-George Buffet : « L’impression que la flamme s’est éteinte »

Marie-George Buffet, qu’est-ce qui a motivé l’écriture et la publication de cette lettre ouverte ? Et pourquoi maintenant ?
Parce que nous allons rentrer dans le vif du sujet du budget 2025. Nous sortons des Jeux Olympiques et Paralympiques où tout le monde, dans le monde politique, s’est félicité à juste titre, de la bonne tenue de ces Jeux, de la belle image que cela avait donné de la France, du comportement des publics, de ce formidable élan des volontaires etc… Et au lendemain de tout cela, on a l’impression que non seulement la flamme s’est éteinte mais s’est éteinte aussi pour l’avenir du sport français, puisqu’on nous parle d’un budget qui pourrait être en baisse au niveau du budget des Sports. On sait que les recettes liées à ce que l’on appelle la taxe « Buffet » depuis 2020, sont en baisse et ça va continuer avec les nouveaux contrats signés notamment par le football, parce que les droits de retransmission du football sont un des principaux aliments de la taxe « Buffet ». Et puis, on a aussi perdu au niveau de la taxation sur les jeux en ligne.

Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Nous avons un budget des Sports qui va être amoindri alors qu’il y a peut-être des tas de gamines et gamins ou d’adultes, quand ils vont avoir envie de s’inscrire dans une discipline découverte au mois de juillet ou d’août, qui vont avoir peut-être envie parce qu’ils sont touchés par le handicap et ont vu ce que le sport pouvait apporter, d’aller vers des clubs. Et peut-être qu’on va leur répondre : « on n’a pas assez d’encadrants » ou « on n’a pas les équipements nécessaires ». Si on a eu les JOP, ce n’est pas simplement pour les avoir, c’est pour que cela permette un nouvel essor de la pratique sportive dans notre pays. Là, nous sommes en train de laisser tomber, on tourne déjà la page.

Est-ce ce qui vous amène à penser que ce serait vraiment regrettable de ne pas surfer sur cet héritage ?
Bien sûr. J’aimerais bien qu’on discute politique autour du sport. Je sais bien qu’on nous parle de neutralité, mais faisons un peu de politique autour du sport. Est-ce que le sport est utile aux individus et à la société ? Je pense qu’il est utile au bien-être physique et psychique des individus et qu’il est utile au vivre ensemble dans la société. Si c’est aussi important que cela, l’accès à la pratique sportive doit être reconnue comme un des droits fondamentaux, comme le droit à l’instruction et le droit à la santé. Si c’est un droit important pour chaque individu pour la société tout entière, il faut lui donner les moyens et les moyens publiques. Personne ne discute le fait qu’on dise que la culture mérite 1% du budget de la Nation. Moi, j’estime que l’accès à la pratique sportive pour toutes et tous mérite aussi 1% du budget de la nation.

Buffet : « J’aimerais bien que le sport devienne un besoin essentiel »

Il s’agit d’un de vos autres combats…
J’aimerais bien lancer un grand mouvement autour de cette idée du 1%. Dans l’attente, on a fait cette lettre car on pense que les parlementaires, les députés et les sénateurs peuvent peut-être être sensibles à une proposition concrète. Je sais bien que le débat sur le budget des Sports est parfois très court au sein de l’hémicycle et trop souvent l’affaire des spécialistes des groupes en charge du sport, mais j’aimerais bien qu’il y ait un vrai débat après ces JOP sur ce qu’on fait du sport dans notre pays. Et le budget, c’est une étape.

Au même titre que Denis Masseglia qui fait partie des autres signataires de cette lettre ouverte, estimez vous aussi que c’est maintenant ou jamais ?
Je crains qu’au nom de l’austérité etc, on estime qu’on ne veut pas toucher à certaines dépenses mais que pour le sport, on peut prendre un peu de ce budget, et que ce n’est pas si grave que cela en fin de compte. J’aimerais bien que le sport devienne aussi un besoin essentiel, que l’État et la nation se doivent de financer à sa juste hauteur. J’espère quand même qu’il va y avoir une réaction au niveau de la représentation parlementaire, parce qu’on ne peut pas d’un côté instrumentaliser le sport au moment où il y a l’évènement sportif, se précipiter dans les tribunes officielles etc… Et au lendemain de l’évènement sportif, se dire que les clubs et les bénévoles n’ont qu’à se débrouiller. Ce n’est pas possible.

Votre expérience fait-elle que vous vous autorisez à être optimiste ?
J’ai fait beaucoup de débats l’année dernière avec le mouvement sportif, puisqu’on avait annoncé une grande concertation sur les propositions faites par le Comité pour l’Éthique et la Vie Démocratique dans le Sport. Et comme elle n’a pas été organisée, moi j’ai répondu aux demandes pour mener ces débats. Et j’ai senti un mouvement sportif dans ces responsables locaux, celles et ceux qui sont au quotidien confrontés aux difficultés, et une envie que cela bouge, mais ne sachant pas comment faire et ayant peu d’espoir. Je n’ai pas senti une mobilisation spontanée, comme si personne ne croyait que l’on puisse y arriver. Ça ne me décourage pas, je continue le combat. On a toujours l’impression que le sport n’est pas quelque chose d’essentiel, sauf au moment où on peut se montrer à un grand évènement sportif. Parfois, c’est décourageant. Je me dis que c’est peut-être le moment ou jamais d’essayer de lever un mouvement autour de cela.

Buffet : « Que les paris en ligne permettent au sport de se développer, c’est normal »

N’avez-vous pas le sentiment de lutter contre des montagnes, et de surcroît de mener ce combat seule ?
Si j’étais quelqu’un qui se décourage facilement, je n’aurais pas encore les convictions que j’ai sur le plan politique. Je pense qu’il faut essayer. Quand vous traversez de grandes périodes électorales, on l’a vu encore récemment sur les présidentielles et les législatives, c’est vrai que la question de la pratique sportive, ce n’est pas une question qui est partie prenante des campagnes électorales. J’aimerais que ça change. On peut ne pas être d’accord, il y a un débat politique. Je prends un exemple : quel est l’avenir des ligues professionnelles ? Il peut y avoir des orientations différentes. Et bien, qu’on en débatte. Que cela ne se règle pas en catimini avec des lobbys à Bruxelles ou ailleurs, mais qu’on en débatte au niveau national et européen. On peut débattre du sport au niveau européen grâce au traité de Nice. Il faut que toutes ces questions sortent de l’entre-soi du mouvement sportif et de quelques spécialistes, élus ou responsables politiques. Il faut que ça devienne une question débattue par les différents représentants.

Que reste t-il de la taxe « Buffet » dans l’idéologie des gens ?
L’idée que l’on pouvait mutualiser un peu. L’idée aussi peut-être que le sport professionnel pouvait davantage se tourner vers le sport amateur, l’accompagner. C’est cette idée de mutualisation. J’ai le sentiment que très souvent, le président ou la présidente du club local, et je l’ai vu dans les débats que j’ai faits, ont déjà tellement de soucis pour faire bien marcher leur club et toutes les responsabilités qu’ils ont, que quand on leur parle du national, y compris de la vie fédérale de leur propre fédération, très souvent leur réaction est la suivante : « on a déjà assez à faire, occupez-vous du reste ». C’est la réalité et je le comprends. Ce n’est pas une critique.

La « nouveauté », même si cela se fait déjà en Italie et en Angleterre, ce sont les paris sportifs…
(Elle coupe) Voilà. On en parle souvent de cela. C’est vrai que les paris sportifs existent que par ce qu’il y a des compétitions sportives et quelque part, il n’y aurait pas les compétitions de haut niveau ou professionnelles s’il n’y avait pas à l’origine des clubs qui accueillent les enfants et qui leur font aimer un sport. C’est normal que ces paris en ligne permettent au sport de se développer. C’est un juste retour des choses. Aujourd’hui, on a l’impression que c’est l’inverse, que c’est le sport qui sert les paris en ligne. Et il n’y a pas beaucoup de retours.