Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, les relations entre la Chine et la Russie se sont encore intensifiées. Une alliance de puissances autoritaires et liberticides qui inquiète les pays occidentaux, qui cherchent de plus en plus à s’appuyer sur le Kazakhstan, immense pays situé entre la Russie et la Chine et qui, depuis plusieurs mois, entame un véritable processus de démocratistation. Cette vitrine naissante de la démocratie libérale et de l’état de droit serait-elle à même de déstabiliser l’alliance sino-russe ?
Une démonstration de force, en pleine recomposition stratégique globale. Début septembre, la Chine et la Russie – ainsi que certains alliés des deux puissances, comme la Syrie ou la Biélorussie – ont organisé de vastes exercices militaires communs. Baptisées Vostok-2022 (« Orient-2022 »), ces grandes manœuvres se sont déroulées dans l’extrême-orient russe et devaient, jusqu’au 7 septembre, réunir plus de 50 000 hommes et quelque 5 000 pièces d’armement et d’équipement militaire, parmi lesquelles presque 150 avions et une soixantaine de navires de guerre. Alors que l’invasion russe en Ukraine a débuté il y a plus de six mois maintenant et que la Chine traverse, elle aussi, une crise diplomatique avec les Etats-Unis autour du statut de l’île de Taïwan, ces exercices militaires conjoints avaient, sans nul doute, valeur de test grandeur nature pour Moscou et Pékin, désireux de montrer leurs muscles.
Un rapprochement protéiforme qui inquiète
Initié avant même le début des opérations militaires russes en Ukraine, le rapprochement stratégique entre la Russie et la Chine ne laisse pas d’inquiéter les chancelleries occidentales, qui voient dans cette alliance entre puissances autoritaires une tentative de « contrôler le destin de nations libres, de réécrire les règles internationales et d’imposer leurs propres modèles (…) de gouvernance », comme le redoutait déjà en février dernier le secrétaire général de l’Otan, Jean Stoltenberg, s’exprimant lors d’une conférence sur la sécurité organisée à Munich. Pékin et Moscou « préfèrent la règle du plus fort à la règle du droit, l’intimidation au lieu de l’autodétermination, la coercition au lieu de la coopération », renchérissait, au cours du même sommet, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.
De plus, les deux pays ont annoncé leur intention de joindre leurs systèmes respectifs de paiement (MIR pour la Russie, UnionPay du côté chinois) et ce afin de contourner les sanctions occidentales qui ont contribué à exclure du système de paiement international Swift un certain nombre d’établissements russes. Le Kremlin a, par ailleurs, annoncé son souhait de voir doubler les échanges commerciaux avec Pékin, qui pourraient passer de 100 à 200 milliards de dollars d’ici à 2024. Nécessité fait loi, et il en va de même – si ce n’est davantage – en matière géopolitique : la Chine et la Russie ont ainsi accepté, du moins provisoirement, de remiser leurs différends territoriaux en extrême-orient – ou encore en Asie centrale, où l’expansionnisme chinois a pourtant le don d’irriter Moscou.
Le Kazakhstan, contre-modèle et contrepoint à l’impérialisme sino-russe
Et si le grain de sable faisant dérailler la mécanique sino-russe venait, précisément, d’Asie centrale ? Géographiquement situé entre les deux puissances, le Kazakhstan, véritable géant régional – tant par la superficie que par l’étendue de ses ressources naturelles – pourrait ainsi s’imposer comme un contrepoint et un contre-modèle à ce nouvel « axe » impérialiste. Longtemps dans la sphère d’influence de son puissant voisin russe, l’ex-république soviétique, indépendante depuis 1991, semble depuis quelques années emprunter un chemin diamétralement opposé à celui de Pékin et Moscou, alliant démocratisation et libéralisation. En juin dernier s’est ainsi tenu un referendum au terme duquel ont été adoptées plusieurs réformes constitutionnelles limitant les prérogatives du président kazakh, favorisant le multipartisme, élargissant les pouvoirs du Parlement et de la société civile, luttant contre le népotisme clanique ou encore renforçant la protection des droits de l’homme.
Autant d’initiatives visant à acter le passage d’un régime « super-présidentiel » à une « république présidentielle dotée d’un Parlement fort », selon le chef de l’Etat Kassym-Jomart Tokayev.
Le même Président qui a annoncé, la semaine dernière, sa volonté de remettre son siège en jeu en convoquant une élection présidentielle anticipée et d’instaurer le septennat non-renouvelable. Des annonces qui sont autant de signaux envoyés à l’Occident, et qui s’inscrivent à rebours de la fuite en avant autoritaire de la Russie et de la Chine – deux pays envers lesquels le Kazakhstan cultive une tradition de diplomatie pragmatique et « multi-vectorielle » lui permettant d’échapper à l’enclavement géographique qui est le sien – fait remarquable, Kassym-Jomart Tokayev a, d’ailleurs, refusé de s’aligner sur les positions des faucons russes dans le dossier ukrainien.
Un casse-tête pour Pékin et Moscou, une opportunité pour l’Occident
C’est donc peu dire que le Kazakhstan fait figure de caillou dans la chaussure sino-russe. D’autant plus que le pays se situe dans une zone centre-asiatique que se disputent Moscou et Pékin : si les deux puissances se partagent, en quelque sorte, les rôles dans une région perçue comme leur pré-carré – à la Russie l’aspect sécuritaire, à la Chine et ses nouvelles routes de la soie, le commerce –, « Moscou et Pékin sont, particulièrement en Asie centrale, en compétition en matière d’influence politique, de soft power et sur le plan commercial », relève Alexander Gabuev, chercheur au Centre Carnegie de Moscou. L’un des deux sera-t-il prêt, pour conserver sa zone d’influence régionale, à prendre le risque de soutenir la démocratisation à l’œuvre au Kazakhstan – quitte à reconnaître ses propres failles politiques et démocratiques ? Ou dénoncera-t-il le processus en cours dans le pays d’Asie centrale, en acceptant de laisser les coudées franches à son nouvel « ami » dans la région ? Quel que soit le scénario envisagé, l’exemple kazakh représente un véritable casse-tête pour la Chine et la Russie – une opportunité dont ne devraient pas manquer de profiter les pays occidentaux, en soutenant ouvertement les réformes de Kassym-Jomart Tokayev.
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