En 2007, Glenn Close endossait le rôle principal de Damages, thriller judiciaire qui bouleversait les codes avec sa narration complexe aux airs de puzzle. La série débarque en intégralité sur Disney+ dès le 2 novembre.
C’est quoi, Damages ? Après des études brillantes, la jeune avocate débutante Ellen Parsons (Rose Byrne) est sur le point d’épouser son fiancé (Noah Bean) lorsqu’elle est engagée par le prestigieux cabinet de Patty Hewes (Glenn Close). Impitoyable, cette avocate réputée s’est spécialisée dans les poursuites au civil contre de grandes sociétés, et elle ne recule devant rien pour gagner ses procès. Ellen devient son bras droit pour gérer le dossier en cours : une action collective lucrative, intentée par les employés d’une société qui s’estiment lésés par la gestion opaque de leur PDG (Ted Danson). L’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît et Ellen ignore dans quoi elle s’engage… Quelques mois plus tard, la jeune femme est retrouvée, amnésique et couverte de sang, courant dans les rues de New York. Que s’est-il passé entre temps ?
En 2007, le scénariste et producteur Todd Kessler (qui a notamment participé à deux saisons des Soprano) s’associe à son frère Glenn et à leur ami Daniel Zelman pour créer une série centrée sur les rapports entre une femme de pouvoir expérimentée au sommet de sa carrière, et une novice qui deviendrait sa protégée. Après quelques tâtonnements, ils décident d’implanter leur récit dans la sphère judiciaire, et ils présentent leur projet à FX, connue pour ses prises de risque avec des séries comme The Shield ou Nip/Tuck. La chaîne leur propose alors d’engager Glenn Close pour le rôle principal – l’actrice a déjà tourné dans The Shield, et la possibilité d’une autre collaboration avait été évoquée. Avec un nom aussi prestigieux en tête d’affiche, Damages suscite d’emblée l’intérêt et la curiosité : lancée en Juillet 2007, la saison 1 réalise d’excellentes audiences – bien que les chiffres diminuent quelque peu au fil de ses 13 épisodes, sans doute à cause de la complexité du scénario.
Damages se situe quelque part entre la série feuilletonante et l’anthologie : si les rapports entre les deux avocates en constituent le fil rouge, chaque saison est centrée sur une affaire spécifique. La saison 1 se consacre à l’affaire Enron, Patty Hewes poursuivant le magnat de l’industrie Arthur Frobisher (Ted Danson), qui a liquidé son entreprise pour réaliser d’obscurs investissements financiers. La saison 2 se concentre sur une multinationale accusée d’avoir contaminé l’eau potable, avec William Hurt dans le rôle d’un chimiste, témoin-clé de l’affaire. La troisième saison, avec Campbell Scott, Martin Short, Lily Tomlin et Keith Carradine, s’inspire de l’escroquerie pyramidale de Madoff. La quatrième (diffusée cette fois sur Direct TV, qui a repris la série après que FX a décidé de l’annuler) s’attaque à une agence de sécurité paramilitaire à la Blackwater, avec le génialissime John Goodman au casting. Enfin, la cinquième et dernière saison est une transposition de l’affaire Wikileaks, avec Ryan Philippe en avatar de Julian Assange, poursuivi pour avoir diffusé des informations secret défense. Au passage, ouvrons une parenthèse pour compléter ce casting impressionnant avec les noms de Tate Donovan (dans le rôle de Tom Shayes, le collaborateur de Patty), Timothy Olifant (Justified), Zeljko Ivanek (dans un rôle aussi sombre qu’a l’accoutumée), Michael Nourri (dont la filmographie tient de la litanie), Madchen Amick (Twin Peaks) ou encore Dylan Baker (le Colin Sweeney de The Good Wife)…
On le voit : toutes ces affaires font directement référence à des scandales récents, qui ont eu un grand retentissement dans l’actualité de l’époque aux États-Unis ; elles n’en sont que plus crédibles. Extrêmement bien écrites, les intrigues tiennent en haleine du début à la fin, au fil des multiples rebondissements qui jalonnent chaque épisode. L’essentiel de l’histoire se déroule dans les bureaux du cabinet de Patty Hewes, lors des investigations, recherches et auditions qui précèdent le procès proprement dit. Chacun de ces dossiers est mené à terme, avec un dénouement dans le final de la saison.
L’épine dorsale de la série reste toutefois la relation entre Patty et Ellen, le lien de mentor à pupille se transformant en rivalité au fur et à mesure que la seconde s’émancipe de la première. Avocate réputée pour sa férocité, Patty Hewes est littéralement capable de tout pour remporter une affaire : flirter avec l’illégalité, contourner les procédures, mentir à ses clients, manipuler ses collaborateurs… Ce qu’elle veut, c’est gagner à tout prix, y compris au détriment de sa vie privée. Patty n’est pas une héroïne qui attire la sympathie ; en revanche, son autorité et sa détermination forcent le respect et l’admiration. Son ambiguïté morale, son pragmatisme cynique et son sens de la stratégie en font un personnage fascinant. Et Glenn Close est tout simplement sublime dans ce rôle complexe d’anti-héroïne, quand ce registre est en général réservé aux hommes. Il lui a d’ailleurs valu deux Emmy Awards, largement mérités.
Jeune avocate à peine sortie d’une prestigieuse fac de droit, Ellen est courtisée par plusieurs grands cabinets. Elle choisit de rejoindre celui de Patty Hewes, qu’elle admire, en dépit des mises en garde qui lui sont adressées. La jeune femme fait vite ses preuves, et devient la protégée de Patty lorsque celle-ci réalise l’étendue de son potentiel. Mais les scrupules de la jeune femme se heurtent aux méthodes très discutables de son mentor. Encore naïve et idéaliste, elle finit toutefois par se laisser convaincre, sans réaliser qu’elle-même est manipulée et utilisée par sa patronne – jusqu’au moment où elle s’affranchit de son emprise. C’est alors une Ellen amère et désenchantée qui décide de se venger et de faire tomber Patty Hewes en collaborant avec les autorités et en rapportant au FBI les exactions dont elle est témoin. Elle devient l’ennemie implacable de Patty, quitte à embrasser les principes qu’elle entendait dénoncer. Dans ce rôle délicat, l’Australienne Rose Byrne est bluffante : non seulement elle incarne à merveille ce personnage dont l’évolution est l’un des principaux moteurs du récit, mais elle est également loin de démériter face à Glenn Close – ce qui, en soi, est déjà la preuve de son talent.
Voilà pour l’intrigue, qui court sur les 5 saisons au fil des différentes affaires traitées par nos deux héroïnes, et au rythme de leurs trahisons et compromissions respectives. Mais ce qui fait toute la spécificité de Damages, c’est moins le récit que la manière dont il est présenté. La série développe l’intrigue d’une manière complexe, puisqu’elle se distingue par la superposition de plusieurs lignes temporelles. D’une part, l’action au présent, linéaire, centrée sur l’affaire traitée par Patty et Ellen ; ensuite, des flash-forwards qui présentent de manière énigmatique le final de la saison ; enfin, des flash-backs qui racontent la manière dont nos héroïnes en sont arrivées là. Par exemple, la scène d’ouverture de la première saison nous montre Ellen, couverte de sang, courant dans les rues de New York ; on revient ensuite au moment où elle est engagée au sein du cabinet ; tout au long des épisodes, des séquences dévoilent l’enchaînement des événements qui ont conduit à la situation présentée en ouverture.
Les sauts temporels sont omniprésents au cours des épisodes, ces brefs allers-retours étant facilement identifiables grâce à une tonalité bleue caractéristique. Ces anticipations et régressions livrent au compte-gouttes et de manière incomplète les informations, pistes et indices, de sorte que le spectateur est en permanence manipulé. L’interprétation des images est systématiquement remise en question, la situation n’est jamais ce qu’elle semble être, et il faut attendre la fin de la saison pour que tous les éléments s’emboîtent parfaitement. Ce n’est que lorsqu’on a enfin une vue d’ensemble que l’on comprend de quoi il retourne, et comment des détails sans lien apparent sont en fait connectés. Véritable casse-tête, Damages parvient à reconstituer le puzzle de manière plutôt cohérente.
Le procédé n’est pas totalement inédit, les multiples flash-backs, flash-forwards et side-aways ayant déjà occasionné de sérieuses migraines aux spectateurs de Lost… Mais dans ce cas, ils servaient généralement à éclairer la personnalité des héros plutôt qu’à nourrir l’intrigue. Dans Damages, en revanche, les ruptures dans la linéarité constituent le ressort principal de la narration, renforçant l’ambiance de thriller et le suspense. Extrêmement efficace, cette construction a depuis été reprise dans de nombreuses séries, comme par exemple The Leftovers ou Bloodlines.
Vécue comme inédite, cette complexité est indéniablement la marque de fabrique de Damages ; c’est aussi l’écueil principal auquel se heurte le spectateur, cette forme narrative supposant une attention soutenue. Damages est moins facile à suivre qu’un thriller classique, quelle que soit la richesse de son intrigue ou l’intensité de sa trame. De plus, répété sur cinq saisons, le procédé a un peu tendance à s’essouffler : il est évident qu’en saison 5, les scénaristes ont plus de mal à se renouveler et que le public connaît désormais les ficelles. On anticipe, on devine que les images sont volontairement trompeuses et que ce qu’on nous montre ne correspond pas à la réalité… La construction exigeante et l’inévitable essoufflement du processus expliquent sans doute en grande partie la baisse des audiences.
De fait, nous l’avons évoqué plus haut : FX décide d’annuler Damages au terme de la 3ème saison, et la série doit son salut à Direct TV, qui commande deux saisons supplémentaires , permettant ainsi aux scénaristes de construire un fin correcte – mais légèrement différente de ce que l’on pouvait supposer… Concrètement, le public s’attendait à la confrontation finale entre Patty et Ellen ; au contraire, les deux personnages sont mis en parallèle, leur rivalité se concluant sur un dénouement doux-amer, sans envolées spectaculaires ni effusions sanglantes. Il fallait oser s’écarter d’un final qui semblait tracé dès le pilote : on peut regretter ce choix ou au contraire saluer la prise de risque. Reste que le dernier épisode, cohérent avec l’ensemble de la série, met un point final convaincant à Damages.
Damages, c’est une série 5 étoiles. Avec son casting impeccable, emmené par une Glenn Close toujours aussi fantastique, elle construit avec originalité un récit intelligent, inspiré d’affaires judiciaires qui ont eu un immense retentissement dans l’actualité de l’époque. Ne vous laissez pas dérouter par sa construction, complexe mais pourtant stimulante : pour peu qu’on s’en donne la peine, on ne tarde pas à plonger dans le monde interlope de Patty Hewes and Associates et à se passionner à la fois pour le thriller judiciaire et le face-à-face entre les deux héroïnes, porté par une tension qui va crescendo. La saison 1, en particulier, est un bijou : à elle seule, elle justifie de redécouvrir Damages.
Damages (FX) – 2007 – 2012
5 saisons de 59 épisodes
En intégralité sur MyTF1
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