Dans Esterno notte, mini-série d’une puissance effroyable, Marco Bellocchio revient sur une affaire qui reste un traumatisme prégnant en Italie.
C’est quoi, Esterno Notte ? En 1978, l’organisation armée d’extrême gauche des Brigades rouges mène une véritable guerre terroriste contre l’État italien. Président du conseil et président des Chrétiens démocrates, Aldo Moro (Fabrizio Gifuni) a pourtant réussi à instaurer un accord qui pourrait changer la donne : un gouvernement d’union nationale entre son parti et le parti communiste. Mais le 16 Mars, Moro est enlevé en pleine rue par un commando des Brigades rouges. Il sera séquestré durant cinquante-cinq jours. Cinquante-cinq jours d’espoir, de peur, de négociations, de manigances politiques… et de trahison. Cinquante-cinq jours au terme desquels son cadavre sera retrouvé dans le coffre d’une voiture, en plein cœur de Rome.
C’est un énorme traumatisme de l’Histoire de l’Italie sur lequel revient à nouveau Marco Bellocchio. A nouveau, car après son film Buongiorno, Notte en 2003, c’est sous forme de mini-série que le réalisateur nous parle de l’affaire Aldo Moro, du nom du président du conseil enlevé et exécuté par les Brigades rouges en 1978. Une attaque directe contre une démocratie au cœur de l’Europe, et une histoire terrible et controversée dans tous ses aspects. Présentée hors compétition lors du festival de Cannes en 2022, c’est sur ARTE (qui l’a coproduite) que la série Esterno Notte sera diffusée en France ; les 6 épisodes seront disponibles sur Arte.tv à partir du 8 Mars, puis diffusés sur la chaîne le 15 Mars.
Buongiorno, notte racontait la détention de Moro à travers le regard d’un membre des Brigades rouges. Vingt ans plus tard, Bellocchio a-t-il quelque chose de plus à dire sur le sujet ? De toute évidence, oui. Car cette fois, au fil de six épisodes d’une heure environ, Esterno Notte étend le propos à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont été impliqués. C’est une fresque, une sorte de Rashomon où chaque épisode se focalise sur l’expérience d’un des acteurs de l’affaire (les politiciens, l’épouse de Moro, les membres des Brigades rouges, le Pape Paul VI…) Et le changement de titre est révélateur : Buongiorno, notte racontait l’emprisonnement de Moro de « l’intérieur » de l’appartement dans lequel il était détenu ; Esterno Notte raconte les actions et réactions des protagonistes à « l’extérieur ».
Bellocchio s’appuie sur un casting impeccable. Margherita Buy est formidable dans le rôle de Eleonora Moro ; Toni Servillo est fantastique dans la peau du Pape VI ; même chose pour Fausto Russo Alesi en Cossiga et Fabrizio Conti en Andreotti. Mais aussi brillants soient-ils, tous sont totalement éclipsés par un Fabrizio Gifuni proprement hallucinant. Il devient un Aldo Moro plus vrai que nature, tellement bluffant qu’on est parfois incapable de dire si on regarde l’acteur ou des images d’archives. A ce stade, ce n’est même plus une interprétation mais une véritable réincarnation.
Pourtant, Esterno Notte n’est pas l’histoire d’Aldo Moro. Ou du moins, pas exclusivement : c’est aussi l’histoire de tous les autres. Le premier épisode sert d’introduction en présentant le contexte politique. Alors que le pays est en proie à des émeutes qui frôlent la guérilla urbaine, à des attentats, des meurtres et des enlèvements orchestrés par le groupe d’extrême-gauche des Brigades rouges, Moro a réussi, grâce à son habileté politique et après bien des efforts, à instaurer un compromis entre le parti chrétien démocrate et le parti communiste, au grand dam des extrémistes. Mais le 16 Mars 1978, alors qu’un gouvernement d’union nationale va être officialisé au Parlement, Moro tombe dans une embuscade et il est enlevé par les Brigades rouges.
A partir de là, la série bascule dans une spirale qui tourne sans cesse autour des 55 jours de captivité, qu’on revit à travers les yeux de personnalités politiques (Andreotti et Cossiga, le ministre de l’intérieur), de l’épouse de Moro, de son ami le Pape Paul VI et d’une membre des Brigades Rouges impliquée dans l’enlèvement. Avant l’ultime épisode et l’effroyable conclusion de l’affaire : la découverte du cadavre d’ Aldo Moro dans le coffre d’une voiture garée en plein cœur de Rome… à mi-chemin exactement entre les sièges du parti démocrate et du parti communiste.
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Esterno Notte est une série minutieuse, qui prend son temps pour disséquer son sujet dans tous ses aspects ou presque, sans jamais être fastidieuse ou redondante. Une série sombre aussi, dans son propos comme dans son atmosphère – même les scènes en plein jour se déroulent dans la pénombre, sous une chape de noirceur. Et comme souvent, Bellocchio aime jouer avec la symbolique et avec une dimension onirique : la scène d’ouverture est une sorte de fantasme où il imagine un Aldo Moro retrouvé vivant et hospitalisé après sa libération, d’autres scènes font référence à Dante ou MacBeth, le calvaire de Moro prend des airs de via crucis avec toute une imagerie christique.
Mais la série est surtout un « J’accuse » sans concession. Car si en apparence, tout est fait pour obtenir la libération de Moro, les choses sont beaucoup plus troubles et même perverses en coulisses : mensonges, non-dits, luttes de pouvoir, manipulation des médias, doubles jeux, ingérence des États-Unis (qui dans le contexte de la guerre froide, espèrent et même facilitent la mort de Moro…), tentatives pathétiques de Paul VI d’intervenir malgré l’opposition du Vatican, basses manœuvres des hommes politiques complaisants, lâches ou hypocrites… (Cossiga ou Andreotti en prennent plein la gu…) Une charge au vitriol qui n’a pas manqué de faire réagir en Italie, plusieurs hommes politiques s’insurgeant contre Bellocchio qui, au final, condamne presque moins les Brigades rouges que l’état-major du parti démocrate chrétien de l’époque.
Fresque magistrale où le récit dramatique se double d’une analyse et d’une charge sans concession contre toute la société et la classe politique italienne, Esterno Notte revisite le traumatisme national de l’enlèvement puis l’assassinat de Aldo Moro. Vingt ans après Buonrgiorno, Notte, Bellocchio nous offre sur le même sujet une série puissante, et transforme à nouveau les années de plomb en or.
Esterno Notte
6 épisodes de 60′ environ.
Le 8 Mars sur Arte.tv et le 15 Mars sur Arte.
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