Avec une lenteur assumée et une délicatesse troublante, Makanai nous prend par la main pour nous emmener dans l’univers des geishas.
C’est quoi, Makanai : dans la cuisine des Maiko ? A l’aube de leurs 16 ans, Kiyo (Nana Mori) et Sumire (Natsuki Deguchi) quittent leur petit village pour la ville de Kyoto, afin de réaliser leur rêve : devenir maiko (ou apprentie geisha). Les deux amies intègrent une maison où elles sont chargées des tâches ménagères et d’assister les geishas ; en parallèle, elles suivent des cours où on leur enseigne les arts traditionnels. Mais si Sumire est une élève brillante promise à une grande carrière, Kiyo est beaucoup plus maladroite et échoue autant dans la danse ou la musique que dans l’ikebana. Alors qu’elle est sur le point d’être renvoyée chez elle, sa passion et son talent pour la cuisine lui offrent une opportunité inattendue : devenir makanai, c’est-à-dire la cuisinière attitrée de la maisonnée.
Disponible sur Netflix et adaptée du manga éponyme de Aiko Koyama, Makanai : dans la cuisine des maiko est signée du grand Hirokazu Kore’eda (Palme d’Or à Cannes en 2018 pour son film Une affaire de famille). C’est une série à part, dont on peine à trouver un équivalent dans les productions actuelles. Il n’y a pas de suspense, pas de passions exacerbées, pas de gentils ni de méchants, pas de joutes verbales, pas de rebondissement ni de cliffhanger. Tout est léger, lent, mesuré, calme, presque évanescent. Malgré tout – ou peut-être justement – on se laisse envoûter par la manière dont, au fil de ses neuf épisodes, Makanai nous ouvre les portes d’un monde différent aux multiples facettes qui non seulement nous plonge dans un pan de la culture traditionnelle japonaise, mais résonne plus largement sur certains aspects.
D’un côté, Makanai a presque une valeur didactique. Kore’eda est également un réalisateur de documentaires et sa série est un voyage à la découverte d’un monde essentiellement inconnu pour nous occidentaux : celui des geishas. Leur formation, les costumes, le maquillage, la coiffure, les danses traditionnelles, la musique, les rituels, le théâtre kabuki… font partie d’une culture qui s’estompe lentement, inexorablement au profit de la modernité. Un contexte qui a le charme du désuet et de l’exotique, auquel s’ajoute le thème central de la cuisine japonaise.
C’est tout cet univers qu’illustre la série, et qui sert aussi de toile de fond à son histoire en tant que microcosme dans lequel gravitent ses personnages. A commencer par nos deux héroïnes, Sumire et Kiyo. Ces deux jeunes filles, unies par une amitié sincère et inconditionnelle, sont au cœur du récit. Leur arrivée à Kyoto marque le début d’une sorte de parcours initiatique et de découverte de soi. Toutes les deux rêvent de devenir geishas, mais le destin va en décider autrement.
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Si le talent manifeste de Sumire impressionne ses professeurs, Kiyo est loin d’être aussi douée et déterminée. En revanche, passionnée de cuisine et grâce aux recettes transmises par sa grand-mère, elle va trouver sa place autrement, en tant que makanai. Et il ne s’agit pas que de cuisine au sens « nutritionnel » ou gastronomique. Avec ses repas soigneusement mitonnés, ses petits plats destinés à une personne ou un moment spécifiques, Kiyo nourrit aussi l’esprit des gens qui l’entourent. C’est une vieille recette de famille qui réchauffe le cœur, un plat ancestral qui fait monter les larmes aux yeux de celui qui le goûte, des biscuits comme une petite attention pour une amie en détresse.
Si l’on suit principalement ces deux jeunes filles tout au long de leur première année à Kyoto, le récit prend rapidement une dimension chorale en embrassant l’ensemble de la maisonnée.De l’adolescence à l’âge adulte, de la modernité à la tradition, de l’échec au succès, Makanai est une mosaïque de parcours croisés et entrelacés Il y a les jeunes filles qui étudient pour devenir maiko ; celles qui doivent abandonner leur rêve et emprunter une autre voie ; la geisha renommée qui envisage de renoncer à sa carrière et à cette vie presque monastique (les geishas, par exemple, ne peuvent pas se marier) : l’ancienne geisha divorcée qui veut réintégrer l’établissement qu’elle considère comme son foyer ; les deux anciennes geishas appelées « mères » qui gèrent désormais la maison…
Pour explorer cette infime partie du monde et nous faire pénétrer derrière les murs feutrés où résonnent le son du shamisen et les rires flûtés des jeunes filles, Kore’eda a choisi d’opter pour le minimalisme autant en termes de narration que de mise en scène. Il prête aussi une attention particulière aux détails et aux nuances, aux gestes les plus infimes et aux regards les plus subtils. Des scènes entières consacrées à l’habillage ou la coiffure des geishas, des gros plans sur les gestes de la makanai, des instants du quotidien comme le changement des cloisons en fonction des saisons, un pèlerinage dans un temple, une fête immémoriale…
Avec une bande-son qui juxtapose musique traditionnelle et mélodies à la fois gaies et douces, Makanai transmet un sentiment de légèreté et de joie calme. Elle construit une oasis de rituels, de stabilité et de sérénité, au sein d’un cocon presque familial. Une famille qui n’est pas exempte de rivalités et de disputes mais où règne l’harmonie, entre des femmes qui ne sont pas du même sang mais qui ont fait le choix de prendre soin les unes des autres, de construire des relations mères-filles ou entre sœurs de substitution.
Makanai est une série à part, presque une expérience. Il faut accepter son rythme calme, sa lenteur et son histoire paisible, de même que ces personnages qui ont tous quelque chose d’innocent ou d’ingénu. C’est finalement tout ce qui fait le charme de cette série délicate, bienveillante, habillée d’un charme poétique et désuet. Une plongée dans le monde des geishas, une succession de petites peintures tendres et intimistes, comme une bulle de sérénité et une ode aux images du monde flottant.
Makanai, dans la cuisine des maiko
9 épisodes de 40′ environ.
Disponible sur Netflix.
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