C’est l’un des faits-divers les plus troublants qui se voit être adapté en série : le violeur de la Sambre qui sévit en France dès la fin des années 80.
C’est quoi Sambre ? Fin des années 80, dans le Nord de la France, des femmes sont violées tôt le matin, toujours de la même manière, sur la même route, le long de la rivière Sambre. Les policiers ne prennent pas la mesure de ces agressions et ne font pas le lien entre elles. La justice est débordée devant les dossiers qui s’accumulent. Il faudra trente ans pour arrêter un homme qui n’a jamais cessé d’agresser les femmes et qui est responsable d’au moins 54 viols ou agressions sexuelles.
L’essentiel
Jean-Xavier de Lestrade, l’un des meilleurs réalisateurs de fiction en France, retrouve un genre qu’il maîtrise depuis The Staircase et qu’il a poussé encore plus loin avec Laëtitia : l’adaptation de fait-divers de la manière la plus sobre qui soit. Entouré de Marc Herpoux et de la journaliste Alice Géraud (autrice de l’enquête sur ce violeur en série), il propose une œuvre intense, forte et puissante : “Raconter l’histoire de Sambre, c’était raconter trente ans de faillite dans la prise en charge des victimes de viols ; raconter Sambre, c’était montrer l’aveuglement d’une société sourde aux plaintes des victimes, sans cesse renvoyées par les institutions à leur sentiment de honte et de culpabilité ; raconter Sambre, c’était rendre compte de la lente évolution d’une société à qui il a fallu des décennies pour enfin prendre conscience que la criminalité sexuelle était un fléau qui traversait et gangrenait toutes ses strates. Et dont les femmes (- et les enfants -) étaient les premières victimes“. Outre Alix Poisson dans le rôle d’une des victimes, la série s’offre une distribution solide dans laquelle on retrouve Olivier Gourmet (Etienne Winckler), Julien Frison (Jean-Pierre Blanchot), Jonathan Turnbull (Enzo Salina), Noémie Lvovsky (Arlette Caruso), Clémence Poésy (Cécile Dumont), Pauline Parigot (Irène Dereux).
Plutôt que “juste” raconter” la traque qui a entraîné l’arrestation en 2018 du violeur, Sambre propose une intrigue découpée dans le temps et étale son propos sur 30 ans à travers différents personnages confrontés de près ou de loin à la traque du criminel avec comme point culminant un épisode centré sur le dit criminel (un peu comme dans Laetitia où un épisode était centré sur le calvaire de la jeune femme). Par cette écriture fine, Sambre épouse presque le format de l’anthologie dont la ligne commune serait le violeur en série mais qui a chaque épisode offrirait un propos différent, un style différent.
On aime ?
Et si Sambre était la meilleure série de 2023 ? On commence à être habitué aux uppercuts que nous adressent les fictions de Jean-Xavier de Lestrade et pourtant, œuvre après œuvre, il parvient toujours à nous surprendre et nous troubler un peu plus. Comme Laëtitia avant elle, Sambre est une grande série, écrite à la perfection avec une sobriété glaçante, et mise en images avec l’intelligence et la pudeur que l’on connaît au réalisateur mais qui n’en oublie jamais de pointer les dysfonctionnements de notre société avec une efficacité redoutable. En proposant un point de vue différent à chaque épisode, même une époque différente, Sambre dresse un portrait de la société française comme peu de séries l’ont fait avant. Dès le début, les partitions des comédiennes et des comédiens sont d’une intensité folle – Alix Poisson trouve ici un de ses plus grands rôles et nous bouleverse dès la scène d’introduction de la série, glaçante au possible. C’est ensuite la crème de la fiction française qui se succède épisode après épisode pour raconter des moments de vie, des choix faits (ou pas) dans la grande histoire de cet immense gâchis qui aurait pu être évité si on avait écouté cette parole qui n’a eu de cesse de tenter de se faire entendre.
L’autre aspect glaçant de la narration est la proximité entre les victimes et leur bourreau. Comme le rappelle Jean-Xavier de Lestrade, “Sambre, c’est l’histoire d’un prédateur qui vivait au milieu de ses proies, dans l’indifférence générale”. Outre ce quasi face à face entre Christine (Alix Poisson) et son violeur dans un supermarché dans l’épisode 1, une séquence illustre parfaitement la banalité de l’horreur quotidienne que les victimes ont dû subir (sans même le savoir) durant des années. Une séquence qui n’existe pas en tant que telle dans la vraie histoire mais qui démontre que la puissance de la fiction peut faire passer de la manière la plus précise qui soit l’intensité du réel. C’est un long plan séquence de l’épisode 3, une fête de village anodine dans laquelle victimes, familles de victimes …et bourreau se croise dans une forme d’indifférence générale bien compréhensible à l’instant T mais terriblement saisissante quand on prend le temps de se rendre compte de ce qui se joue. Christine croise l’origine de son drame personnel sans le savoir, des mains se frôlent, des regards se croisent sans se voir ni se reconnaître. Et de l’autre côté, Enzo (magistralement incarné c’est le mot par Jonathan Turnbull) qui voit sans doute ses victimes mais les ayant “dépersonnalisé”, il ne s’en pas compte … Ou pire il s’en rend compte et ça ne lui procure aucune émotion. Le monstre est là, “avec nous” comme on dit, et personne ne s’en rend compte. La banalité de l’horreur que le sourire d’Enzo illustre terriblement.
La combinaison d’une écriture magistrale (oscillant entre l’intensité d’une enquête journalistique et la maîtrise de l’outil fictionnel), d’une réalisation intelligente et maîtrisée, et d’une interprétation brillante, fait de Sambre l’une des meilleures séries de cette année, mais plus largement aussi, l’une des séries françaises les plus puissantes depuis très longtemps, digne héritière des grandes séries anglo-saxonnes.
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