Des milliers de travailleuses dans les champs de canne à sucre en Inde subissent des pressions pour se faire retirer l’utérus. L’opération, souvent mal réalisée, est encouragée par leurs employeurs pour augmenter leur productivité : plus de règles ni de grossesses. Mais les conséquences sont bien pires que cela.
Alors que le parlement Espagnol est en train de voter une loi pour créer un congé menstruel, en Inde les femmes vivent une toute autre réalité. Dans ce pays où l’intime est tabou, des milliers de femmes sont victimes d’ablations de l’utérus, aussi appelées hystérectomie. Environ 36% des travailleuses dans les champs de canne à sucre de l’Etat de Maharastra se sont fait retirer cet organe. Un business entre propriétaires de plantation de cannes à sucre et cliniques privées qui rend la vie de ces femmes encore plus difficile.
Le dur labeur dans les champs de canne à sucre
Chaque année dans la région de Bid en Inde, des millions de personnes sont recrutées pour aller travailler dans des champs de canne à sucre. Ce sont des villages entiers qui déménagent après la mousson pour s’installer dans des campements rudimentaires sans eau ni électricité. Ils y vivront six mois, à travailler de 12 à 16 heures par jour, et même de nuit, avec un jour de congé par mois (non payé). Un travail qui n’est bien-sûr pas réglementé, ni protégé par un syndicat et n’offre aucune protection sociale.
La moitié de ces travailleurs sont des femmes. Souvent issues de la caste indienne la plus pauvre, les Intouchables. Elles commencent à travailler vers l’âge de 10 ans, se marient quelques années plus tard, et ont des enfants tout aussi tôt. Elles touchent durant ces six mois entre 30 000 et 35 000 roupies, soit entre 380 et 445 euros.
Le rythme est dur à tenir. Les mukadams, contremaitres chargés du recrutement et du travail dans les champs, n’hésitent pas à les frapper si leur rythme n’est pas assez rapide. Pas question de se reposer pour les femmes qui souffrent de règles douloureuses, puisqu’une absence est punie d’une amende de 500 roupies.
Alors en cas de douleurs chez ces femmes, les mukadams ont la réponse : il faut faire une ablation de l’utérus. Même si les maux n’ont aucun rapport avec cet organe. Pour eux, les règles et la grossesses font ralentir le taux de productivité. “Si elles n’enlèvent pas [leur utérus] c’est un problème pour nous” déclare un mukadams au micro d’Envoyé spécial (disponible ce soir sur France 2).
“Si elles n’enlèvent pas [leur utérus] c’est un problème pour nous”
Les conséquences désastreuses de l’ablation de l’utérus
Souvent peu éduquées sur leur corps, ces femmes se laissent convaincre du bienfait de l’opération. De plus, elles ne peuvent pas se permettre de perdre leur travail.
Les conséquences sont pourtant bien pires que les douleurs que ces femmes avaient avant l’opération. Les hystérectomies sont normalement indiquées pour des femmes de plus de 50 ans souffrant d’une pathologie comme un cancer, une fibrome etc. Dans la ceinture sucrière, ce sont souvent des femme dans leur vingtaine qui subissent ces opérations. Le retrait de l’utérus provoque une ménopause précoce. “A 30 ans, elles en paraissent 50, visage et corps vieillis prématurément” relate Elise Lucet dans Envoyé Spécial. En plus de devenir stériles, cette ablation provoque descentes d’organes, tremblements, faiblesse générale, problèmes liés à la sexualité….
Opérées rapidement, elles retournent immédiatement dans les champs, sans le repos nécessaire pour se remettre d’une telle opération. Souvent mal réalisées, ces opérations génèrent parfois de grosses complications qui occasionnent des frais importants. Certaines ne peuvent plus travailler après l’opération, et sont donc endettées à vie. Aucun dossier médical, ni facture n’existe, donc aucune preuve ne reste de cette opération, à part la cicatrice. Donc aucune réparation pour cet acte chirurgical abusif n’est possible.
L’ablation de l’utérus, l’opération du profit
C’est tout un business qui se cache derrière ces opérations. Selon Chloé Sharrock, qui a couvert le sujet en tant que photojournaliste en 2020, les mukadams persuadent les femmes, puis leur prêtent l’argent nécessaire à l’opération, moyennant des taux d’intérêts très élevés. Ces femmes mettront des années à le rembourser, ce qui accroit leur dépendance à leur employeur.
Ils envoient ces jeunes travailleuses dans des cliniques privées, pour lesquelles ils touchent des commissions. Les médecins “font pression sur des femmes encore jeunes pour qu’elles se fassent opérer et générer des profits” selon la reporter. L’argument majeur qui leur est donné est que le retrait de l’utérus réduirait les risques de cancer. Les cliniques sont libres de fixer les tarifs de l’intervention. Il oscille donc entre 250 à 600 euros, moins que le salaire saisonnier de ces femmes. Son coût est à leur charge et elles ne touchent pas de salaire pendant leur hospitalisation.
L’inertie du gouvernement indien
L’affaire a été dévoilé pour la première fois par le journal local Firts Post en 2019, alerté par l’ONG Tathapi. Des milliers de femmes avaient déjà subi cette opération. Près de 36% des femmes de cette région du Sud-Ouest de l’Inde. Dans le reste du pays, comme ailleurs dans le monde, l’hystérectomie ne concerne que 3% des femmes.
Des activistes des organisations MAKAAM (Forum pour les Droits des Femmes Fermières) et de la Fédération Nationale des Femmes Indiennes ont demandé au gouvernement que des mesures fortes soient prises dans le district de Bid pour éviter ces crimes.
En juin 2019, en réponse, le gouvernement a créé un comité d’Etat chargé d’enquêter et de formuler des recommandations dans le district de Bid. Mais pour Chloé Sharrock, c’est “un écran de fumée. D’après les activistes, le recensement [des femmes victimes] a été tronqué dans la mesure où un nombre insuffisant de formulaires a été imprimés. Ainsi le nombre de femmes recensées était-il limité au nombre de formulaires“. Aucun contrôle, aucune mesure concrète n’a été prise depuis.
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