Le nouveau classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières relève la partition de la planète entre les démocraties et les pays autocratiques. Une asymétrie qui n’épargne pas l’Europe, divisée entre les pays de l’Ouest où règne une liberté fragile et ceux de l’Est où, comme en Hongrie ou en Bulgarie, les droits des journalistes sont de plus en plus ouvertement remis en cause.
Une nouvelle ère de polarisation
Une « nouvelle ère de la polarisation » dominée par un véritable « chaos informationnel ». C’est en ces termes, particulièrement sévères, que l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a choisi d’intituler son vingtième rapport consacré à la liberté de la presse dans le monde. Dévoilée le 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, l’édition 2022 du classement de RSF évalue, comme chaque année, près de deux-cents pays à la lumière de plusieurs indicateurs (contexte politique, cadre législatif, contexte économique, contexte socio-culturel et sécurité) – une méthodologie à laquelle l’ONG a apporté de substantielles modifications cette année, rendant délicates les comparaisons avec les précédentes éditions de son classement. Pour 73% des 180 pays scrutés par RSF, soit la même proportion qu’en 2021, la situation des journalistes est jugée « très grave », « difficile » ou « problématique ».
Plus généralement, les auteurs du rapport relèvent une « polarisation sur deux niveaux » entre et au sein des pays étudiés, un phénomène nourri, d’une part, par « la montée en puissance des circuits de désinformation » au sein des pays démocratiques et, d’autre part, par le grandissant « contrôle des médias » dans les régimes autoritaires. « La création d’un arsenal médiatique dans certains régimes autoritaires prive les citoyens de leur droit à l’information mais contribue aussi à la montée des tensions internationales pouvant mener aux pires guerres », s’inquiète, dans une référence explicite au conflit en Ukraine, le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Mais les États démocratiques ne sont pas en reste, eux au sein desquels « la Fox News isation des médias pose un risque fatal car elle met en danger les bases d’une société harmonieuse et du débat public tolérant », met ainsi en garde l’ONG.
Ces pays d’Europe de l’Est pointés du doigt par RSF
Comme chaque année, une poignée de pays Européens se distingue des autres par la grande liberté dont jouissent les journalistes sur leur territoire. Ainsi de la Norvège, qui décroche, pour la sixième année consécutive, la première place du classement, suivie sur le podium par le Danemark et la Suède. Cinq autres États du Vieux continent intègrent par ailleurs les dix premières places, parmi lesquels l’Estonie, la Finlande, l’Irlande, le Portugal et la Lituanie qui, tous, obtiennent un score supérieur à 84/100. La France enregistre, quant à elle, une progression de huit places, en passant du 34e au 26e rang, notamment à la faveur de l’adoption par le gouvernement d’un nouveau Schéma national de maintien de l’ordre (SNMO) jugé, par RSF, « plus respectueux des droits des journalistes lors des manifestations ».
A l’inverse, un certain nombre d’États européens pointent en queue du classement sur la liberté de la presse. L’Europe fait ainsi face, selon l’ONG, à une importante asymétrie entre, d’un côté, des « sociétés ouvertes » et, de l’autre, des « régimes despotiques » qui « affaiblissent la démocratie » et les droits de la presse. La Grèce, qui perd près de quarante places dans le classement 2022, est par exemple pointée du doigt, ainsi que la Biélorussie dont le président, Alexandre Loukachenko, impose une éroce et brutale répression à l’encontre de toute voix dissidente. En Grèce, l’avènement au pouvoir du conservateur Kyriakos Mitsotakis en 2019 a entraîné un durcissement législatif, permettant notamment la mise sur écoute sans autorisation préalable d’un juge et l’emprisonnement pour un journaliste accusé de diffuser de « fausses informations ». D’autres pays d’Europe de l’Est se font aussi remarquer par l’adoption de mesures liberticides à l’encontre des journalistes : la Slovénie (54e place), la Pologne (66e), la Hongrie (85e) ou encore l’Albanie (103e). En Slovénie, le premier ministre a ordonné la suspension du financement public à l’agence de presse nationale STA, tout en notamment des proches du pouvoir parmi les cadres dirigeants de la RTV Slovenija. En Hongrie, la radio indépendante Klubradio, contre qui bataille le pouvoir de Viktor Orban, devra officiellement cesser d’émettre le 14 février dernier. Dans le pays, les médias d’opposition sont réduits à peau de chagrin. En Pologne, la prise du contrôle par l’une des plus grandes entreprises d’énergie du pays PKN Orlen, dont le conseil d’administration est connu pour ses liens avec le pouvoir, du plus grand distributeur de presse du pays, inquiète.
Bulgarie, lanterne rouge
La Bulgarie fait également partie de ces pays est-européens mal classés par RSF. Écopant d’une piteuse 91e place, le pays demeure ainsi l’un des « plus pauvres et corrompus de l’Union européenne (UE) », relève RSF, selon qui « les quelques médias
indépendants qui se font encore entendre (…) font l’objet de pressions incessantes ». Le pays connaît un système de concentration des médias dans les mains de quelques oligarques. Parmi eux, Igo Prokopiev, un magnat des affaires, qui détient le groupe Economedia, à l’origine de plusieurs dizaines de titres de presse, dont le très influent Capital. Ivo Prokopiev a été aussi accusé, par l’une des entreprises dont il est actionnaire, d’avoir pollué l’eau d’un village entier. De même, « les menaces et agressions physiques contre les journalistes bulgares constituent un problème structurant, et les autorités font preuve d’un manque de volonté évident lorsqu’il s’agit d’enquêter et de punir de telles exactions ». Pourtant, le rapport de RSF note une légère amélioration en passant le 112ème place à la 91ème. Un adoucissement de la situation des journalistes que conteste l’Union des journalistes bulgares. « Il n’y a pas de réel changement pour le mieux, ni dans la condition et la propriété des médias (les oligarques continuent de les contrôler), ni dans les garanties pour la liberté et les droits des journalistes » explique ainsi l’association dans un communiqué qui déplore l’amélioration de la Bulgarie au classement est uniquement liée au « changement de gouvernement » et à l’arrivée au pouvoir de Kiril Petkov en décembre dernier.
En Europe de l’Est, cette complice passivité pourrait contribuer à ralentir, pour ne pas dire obérer durablement, l’ éventuelle entrée dans l’UE de certains candidats.
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