La planète des singes | Seriefonia

Pour ce nouveau numéro de Seriefonia, place à un monument de la SF, à savoir le mythique film La planète des singes.

[Extrait Sonore « Planet of the Apes, 1968 »]

[« SérieFonia : Season V : Opening Credits » – Jerôme Marie]

C’est le premier mercredi du mois et c’est SérieFonia. Et pour ce nouvel épisode, je vous invite à parcourir, musicalement-parlant bien entendu, l’un des plus emblématiques monuments SF de toute l’Histoire du cinéma… C’est un peu moins le cas à la télé, mais peu importe. En janvier 1963, sortait aux éditions Julliard le dixième roman du très français (on a tendance à l’oublier) Pierre Boulle, à qui l’on devait déjà Le Pont de la Rivière Kwai un peu plus de dix ans plus tôt… une histoire de singes de l’espace intelligents, inspirée par une simple visite au zoo ou l’auteur imagine un instant les humains enfermés dans les cages en lieu et place des gorilles, et qui n’allait pas tarder à imposer l’un des plans les plus iconiques de tous les temps sous la direction de Franklin Schaffner et une partition de Jerry Goldsmith…

[« Planet of the Apes, 1968 – The Revelation/Finale » – Jerry Goldsmith]

Débarqué sur les écrans en 68, sous l’impulsion du créateur de La Quatrième Dimension lui-même, (j’ai bien entendu nommé Monsieur Rod Serling) : La Planète des Singes voit Charlton Heston se cracher sur une planète hostile, placée sous un étonnant règne simiesque, avant de lui-même devenir l’animal sauvage que cette culture subtilement inversée préfère voir en lui ainsi qu’en ses congénères. En cherchant à recouvrer sa liberté, c’est soudain une effroyable Vérité qui se retrouve, littéralement, face à lui et qui, par son incomparable charge émotionnelle fait instantanément basculer ce « simple » jeu de miroir sociétal en une authentique tragédie du genre humain. Une prophétie d’échec, guidée autant par la menace nucléaire que par les dangers du clivage des ethnies, ou encore l’endormissement des peuples par la religion et la désinformation. Des enjeux et des préoccupations radicalement terre à terre, qu’il incombe au compositeur de dissimuler par une approche aussi radicale qu’atonale, en totale opposition avec à peu près tout ce qui pouvait se faire jusque-là…   

[« Planet of the Apes, 1968 – The Forbidden Zone » – Jerry Goldsmith]

Plus encore que les costumes, les décors, et surtout les extraordinaires maquillages de John Chambers, la musique de Jerry Goldmsith a à charge d’assurer le dépaysement. A aucun moment, le spectateur ne doit se dire que tout ceci se passe peut-être bel et bien sur Terre. D’instruments pourtant classiques, comme le piano et la flute, il tire des sons inédits, pour ne pas dire improbables. Notamment en jouant sur les graves. Les effets de cordes sont stoppés net, cassant à la fois le rythme et les amorces de mélodies. Mais, bien sûr, c’est à travers les percussions qu’il laisse libre cours à toute l’étendue de sa folie créative. Il les fait gratter plutôt que frapper… Des plats en inox ou encore du bambou se substituant même parfois aux instruments conventionnels. Les joueurs de Cors doivent souffler à l’envers… Et j’en passe et des meilleurs. Grâce à ce Planet of the Apes, Goldmsith impose un style. Une marque. Une référence nouvelle non seulement en matière de science-fiction mais aussi de musique pour l’image tout court. Une sonorité unique, que tous les compositeurs qui auront à travailler sur les suites se feront un honneur de préserver…  

[« Beneath the Planet of the Apes – The Priest » – Leonard Rosenman]

Succès oblige : deux ans après La Planète des Singes, arrive sur les écrans Le Secret de la Planète des Singes, cette fois réalisé par Ted Post et reléguant, à sa propre demande, Charlton Heston au niveau de personnage ultra secondaire. Néanmoins, chacune de ses apparitions accompagne un moment crucial de l’intrigue, cette fois encore plus frontalement dénonciatrice de la fascination nucléaire… Au point de perdre grandement en subtilité et, il faut bien l’avouer, en qualité de jeu. Côté musique, en revanche, Leonard Rosenman fait plutôt du bon boulot, dans la droite lignée du précédent… 

[« Beneath the Planet of the Apes – Nova Dies/The Ugly Bomb » – Leonard Rosenman]

En l’absence d’Helton, les singes prennent définitivement la vedette. Mais si Zira est toujours incarnée par Kim Hunter, le génial Roddy McDowall ne revient pas sous le masque de Cornelius. Et ça se sent. Comme quoi, le talent peut transparaître sous les couches de latex… et qu’il ne suffit pas de singer un singe pour en devenir un. Lorsque qu’il s’attèle à cette suite, Leonard Rosenman n’a absolument rien d’un débutant. Il s’est déjà illustré à travers des titres aussi cultes que A l’Est d’Eden, La fureur de vivre ou encore Le voyage fantastique ; ce dernier lui vaillant d’ailleurs embauché sur Le secret de la Planète des Singes… Pourtant, à l’origine, les producteurs du film lui auraient préféré Lalo Schifrin qui, retenu par un autre projet (il compose pour pas moins de 7 films sortis en 1970) a été dans l’obligation de décliner… Du moins, pour le moment.   

[« Escape from the Planet of the Apes – Final Chapter and End Credits » – Jerry Goldmsith]

En attendant, c’est Jerry Goldmsith qui revient lui-même à la barre… enfin à la baguette… pour le troisième opus, Les évadés de la Planète des Singes, tout juste une petite année plus tard. Preuve que le studio va trop vite tout en voulant dépenser de moins en moins. Ce qui ne manque pas de se ressentir à l’écran. Cette fois, ce sont les singes (en l’occurrence Zira et Cornélius – de nouveau interprété par McDowall) qui déboulent de l’espace vers notre temporalité… poussant le compositeur à proposer quelque chose de (presque) totalement différent de ce qu’il avait inventé sur le premier film. Très funky et seventies dans l’âme, on y retrouve néanmoins l’utilisation ponctuelle de la fameuse flûte à coulisse… avec beaucoup plus de tendresse qu’à l’accoutumé…

[« Escape From the Planet of the Apes – Mother and Child » – Jerry Goldsmith]

Avec trois long-métrages en seulement quatre ans, La Planète des Singes entre dans l’inconscient collectif. Toutefois, les suites souffrent difficilement la comparaison avec l’original et, peu à peu, la magie s’étiole. Dans la pop culture, rares sont les références qui sont faites à un autre opus que le premier. Et en parlant de ça, la série animée Les Simpson se fait régulièrement écho de la fascination que peut provoquer le film… Une simple phrase en saison 3… un petit caméo de Zira et Cornelius en saison 5… Un épisode hommage d’Itchy & Sctrachy en saison 6… Une reprise, plan par plan, de la scène de la chasse, toujours en saison 6… Et surtout, surtout, une hilarante comédie musicale façon Broadway en saison 7. C’était à l’occasion du 19ème épisode et ça s’appelait « Un poisson nommé Selma ».

[« The Simpsons, Saison 7, Episode 18 – Dr Zaius (Song)  » – Falco]

L’année suivante, en saison 8, une discrète mais sympathique référence est également faite au quatrième film de la série, Conquest of the Planet of the Apes, lorsque l’on peut lire Conquest of the County of the Apes sur l’affiche du sermon du révérend Lovejoy… Mais avant d’en arriver à cette fameuse Conquête de la Planète des Singes, je vais partir un peu dans le désordre et directement enchaîner, vite fait bien fait, avec le remake du premier film, dirigé par Tim Burton en 2001. Parce que, c’est vrai, il ne montre finalement que très peu d’intérêt… et ne s’intègre en rien à la franchise. Burton lui-même a avoué avoir eu beaucoup de mal à travailler sur ce film… si bien que, en dehors de la qualité des maquillage  – et – de la musique, il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent…

[« Planet of the Apes, 2001 – Main Title (Synth & Percussion Only) » – Danny Elfman]

Personnellement, j’aime beaucoup le travail de Danny Elfman sur ce film. Aussi inutile soit-il. Il reprend naturellement l’esprit des percussions de Goldsmith, tout en apportant une bonne dose de modernité et en jouant amoureusement des sons électroniques. Au point de proposer plusieurs versions du Main Title dans des remixes divers et variés. De plus, l’exitance de ce film, et donc de sa partition, me permet de vous proposer quelque chose que j’aime bien : mettre côte à côte les deux propositions musicales opérées pour une « même » scène. Ici, celle de la chasse. Chez Elfman, ça donne ça…    

[« Planet of the Apes, 2001 – The Hunt » – Danny Elfman]

Et chez Goldsmith, en 1968, ça donnait ça…

[« Planet of the Apes, 1968 – The Hunt » – Jerry Goldsmith]

Pour continuer sur les produits dérivés, Lalo Schifrin, qui je vous le rappelle, a manqué de peu de composer la musique du second film, se voit offrir une nouvelle chance d’œuvrer sur la saga par l’intermédiaire de la série TV de 1974. Une seule saison de 14 épisodes seulement. Normal, la formule se veut extrêmement répétitive et, en dehors de la présence de Roddy McDowall (cette fois dans le rôle de Galen, un autre chimpanzé se prenant d’amitié pour les explorateurs humains), il faut bien avouer qu’en dehors de son charme désuet et de la réutilisation des masques, costumes et décors des films, la série n’a pas grand-chose de neuf à offrir… en dehors des succulentes partitions de Schifrin, bien entendu.  

[« The Series, 1974 – Main Title » – Lalo Schifrin]

En réalité, Lalo Schifrin n’a composé que pour trois épisodes de la série. Les autres ayant été confiés aux soins de Earle Hagen, Richard LaSalle et Lionel Newman, qui officiait également en qualité de superviseur musical. Toutefois, les thèmes de Schifrin sont allégrement réutilisés tout au long de la série. Et j’ai bien dit réutilisés. Pas retravaillés. Juste replacés. Ce qui, un, se faisait beaucoup à l’époque. Et, deux, peut tout à fait se comprendre dans la mesure où l’esprit des partitions de Goldsmith y est parfaitement respecté… Servi de main de maître par un jazzman hors-pair qui, avant cela, s’était déjà si brillamment illustré sur les épisodes de Mission : impossible et Mannix… et qui n’allait pas tarder à enchaîner avec Starsky & Hutch. Ecoutez donc son « Humans vs Apes »… Tout est dit.

[« The Series, 1974 – Humans vs Apes » – Lalo Schfrin]

En réaction à l’échec de la série, la Fox ne sait plus trop comment réagir… Sans pour autant vouloir renoncer à continuer de capitaliser sur la franchise. Après 5 long-métrages et 1 série avortée, le studio se tourne alors vers le seul média qu’il n’a pas encore testé : le dessin animé. Et, dans le même temps, espère bien changer de cible et vendre encore plus de produits dérivés aux enfants. La encore, il s’agit plus ou moins d’un remake. De nouveaux astronautes débarquent sur la Planète des Singes, et c’est reparti pour un tour. On y retrouve tous les personnages simiesques présents dans les films… mais pas nécessairement avec leurs voix originales. C’est diffusé sur NBC du 6 septembre au 25 novembre 1975… Et, une fois de plus, ça s’arrête là. 13 petits épisodes, et puis s’en va.

[« Return to the Planet of the Apes, 1975 Animated – Theme » – Dean Elliott]

A la musique, on retrouvait le compositeur Dean Elliott, alors principalement connu pour son travail sur les séries d’animation Mr. Magoo et Tom & Jerry… La grande époque… et lui aussi a essayé à coller à la patine Goldsmith. Mais en version plus light, cela va s’en dire… On en arrive au moment où je rembobine un peu. Retour en 1972, donc, pour la sortie en salles du quatrième long-métrage : La conquête de la Planète des Singes qui reste, de loin, mon préféré, juste après le un. Pourquoi ? Parce qu’il traite de sujets forts, tels que la ségrégation, l’importance des droits civiques et la lute pour la liberté… Et aussi parce qu’il met pour la première fois en scène le personnage de César, ici le fils de Zira et Cornélius, et lui aussi interprété par… Roddy McDowall ! Et là où c’est très fort, c’est que même si l’acteur et son masque ne changent pratiquement pas… ses jeux et personnalités n’ont soudain plus rien à voir…

[« Conquest of the Planet of the Apes – Apes Attack » – Tom Scott]

Encore une fois, la production se tourne vers un jazzman pour s’attaquer au plus risqué des chapitres de l’Histoire de La Planète des Singes… Pourtant, Tom Scott, puisque c’est son nom, n’a alors derrière lui que des épisodes de la série Cannon. Il est avant tout un musicien de sessions, qui collabore avec des artistes aussi variés que Paul McCartney, Frank Sinatra, Blondie, ou encore les mythiques Pink Floyd. Quelques années plus tard, c’est lui aussi qui jouera les parties au lyricon (une flûte électronique) sur Billie Jean pour Michael Jackson. Mais quand César choisissait enfin de s’appeler César, voilà comment il renforçait musicalement l’intensité du moment…

[« Conquest of the Planet of the Apes – Ceasar Chooses His Name/Armando Dies » – Tom Scott]

La conquête de la Planète des Singes, malgré son accueil mitigé et la censure de certaines scènes de violence qui lui est imposée, reste un film fort, intelligent et propice à un réel renouveau de la franchise. D’ailleurs, lorsque le reboot (plus que le remake), La Planète des Singes : Les Origines débarque en 2011 grâce aux immenses talents du réalisateur Rupert Wyatt et du comédien Andy Serkis, c’est finalement bien plus à cet opus là qu’il doit ses principales fondations plutôt qu’à l’original de 1968. Et c’est tant mieux. Il ne servait vraiment à rien de ne rabâcher continuellement la même chose en moins bien… Extrêmement réaliste grâce à la technique de la performance capture, ou le meilleur du numérique se substitue aux masques de latex et aux poils synthétiques, le ton devient soudain beaucoup plus viscéral et dramatique… Ce qui, bien entendu, passe également par la musique !

[« Rise of the Planet of the Apes – Ceasar’s Home » – Patrick Doyle]

C’est du Patrick Doyle. Comme d’hab : Epique, grandiloquent et émouvant. En revanche, pour la suite de ce qui est devenu une trilogie avec La Planète des Singes : L’Affrontement puis Suprématie, la baguette a été transmise à Michael Giacchino. Et je peux vous le dire pour l’avoir vécu : ce dernier était extrêmement ému et reconnaissant à l’idée de marcher à son tour dans les pas de Jerry Goldmsith. Lors de la représentation du ciné-concert Star Trek Into Darkness au Royal Albert Hall de Londres, bien avant que le film ne soit terminé, il régalait la salle de son Main Title par définition jusque là totalement inédit pour son Dawn of the Planet of the Apes… Et nous sommes tous resté médusés. Et par le morceau et par la sincérité de l’enthousiasme de l’homme lui-même.

[« Dawn of the Planet of the Apes – Ceasar No Evil, Hear No Evil » – Michael Giacchino]

Ses références à Goldsmith sont subtiles. Il utilise certains instruments de la même façon, mais sans chercher à obtenir le même effet… Les sons graves du piano, notamment. Je ne vois pas d’autre façon de le dire : ces films sont un petit miracle. L’un des très rares cas où le remake, reboot, appelez ça comme vous voudrez, apporte réellement quelque chose de profond à l’œuvre d’origine… dont le dernier chapitre, La Bataille pour la Planète des Singes, sorti en 1973 sous la mise en scène de J. Lee Thompson, voyait le retour de Leonard Rosenman à la composition…

[« Battle for the Planet of the Apes – Fight Like Apes » – Leonard Rosenman]

Dans la directe continuité de ce qu’il avait entrepris pour Le Secret de la Planète des Singes, Rosenman renoue avec l’univers comme s’il n’en était jamais sorti… Avec tout de même un chouïa plus d’action à gérer dans l’équation. Après tout, ce cinquième et dernier film traite principalement de la cohabitation, possible ou non, entre des peuples de cultures différentes. Jusqu’à ce que l’impossible se produise… Ce jour fatidique où un singe… a tué un autre singe.  

[« Battle for the Planet of the Apes – Ape Has Killed Ape » – Leonard Rosenman]

L’éternel recommencement. Que l’on soit homme ou singe. Nul n’échappe à sa nature. Et ce, qu’on veuille faire le bien autant que le mal. En cela, les deux derniers films d’époque et les deux derniers de la trilogie récente opèrent en parfait effet miroir ; même si les contextes et évènements respectivement narrés se détachent radicalement les uns des autres. A la fin de La Planète des Singes : Suprématie, maîtrisé de bout en bout par Matt Reeves, tout est dit. César est arrivé au bout de sa quête et l’avenir peut continuer de s’écrire loin de nos regards… Nous laissant la larme à l’œil sur une certaine idée de la perfection… Du moins, c’est ce qu’on croyait. En 2019, la Fox est rachetée par Disney… et le studio entend bien explorer de nouveau cette Planète des Singes sous une forme ou sous une autre. Finalement, ce sera… Kingdom of the Planet of the Apes. Une suite directe à Suprématie, où il y a fort à parier que les fils et filles de César seront à l’honneur… Alors, Giacchnio sera-t-il de nouveau au rendez-vous ?… Qui vivra verra. En attendant, je vous quitte sur le poignant « Paradise Found », justement issu de Suprématie… Enfin… de War for the Planet of the Apes. Parce que bon, ces titres français sont quand même bien pourris… et je vous donne rendez-vous le mois prochain pour de nouvelles explorations musicales…César est mort. Vive César…

[« War for the Planet of the Apes – Paradise Found » – Michael Giacchino]

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