On regarde ou pas ? Anatomie d’une chute de Justine Triet

Le film de Justine Triet, qui a reçu la palme d’or à Cannes, est un drame au scénario bien ficelé, au rythme maitrisé, avec des acteurs fascinants de justesse

C’est quoi Anatomie d’une chute ? “Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.”

Ce quatrième long métrage de Justine Triet sera visible dès le 23 août dans les salles obscures !

L’essentiel

Après Jane Campion et Julia Ducourneau, Justine Triet est la troisième femme à recevoir la précieuse récompense. Le scénario très bien écrit a été l’oeuvre de Justine et son compagnon Arthur Harari (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle) qui est par ailleurs comédien (l’avocat kiejman dans le procès Goldman). Le film met le doigt sur les affres du couple, à travers une enquête méticuleuse, où transparaissent des acteurs formidables de justesse. Le casting pour l’enfant du couple, joué brillamment par Milo Machado Graner, n’a apparemment pas été facile. Justine Triet a d’abord commencé un casting d’enfants malvoyants pendant 4 mois, car l’enfant est censé l’être dans l’histoire. Mais ce casting n’a rien donné, ils n’ont trouvé personne jusqu’à ouvrir le casting aux enfants voyants, c’est à ce moment là qu’ils ont trouvé Milo, avec une mélancolie et un naturel propre au personnage. Dans un souci d’authenticité, les scénaristes ont fait également appel à un avocat pénaliste, Vincent Courcelle-Labrousse, afin de rendre le procès le plus crédible possible.

On aime

Ce film de Justine Triet témoigne d’une vraie maitrise des enjeux scénaristiques, chaque scène a sa place et ajoute à chaque fois un élément décisif dans l’enquête et la compréhension des personnages. De plus, cette trame narrative est parfaitement rythmée et la musique, essentiellement du piano, advient rarement mais toujours à propos. Cela permet à l’audience d’avoir comme Daniel (l’enfant malvoyant) une oreille attentive, celle qui témoigne de ce qu’il s’est passé dans la maison avant le drame. Cette histoire pourtant fictive est d’un réalisme saisissant, grâce à la justesse de jeu des acteurs, mais également grâce à l’authenticité des relations humaines qui y sont dépeintes. Un mari écrivain qui ne parvient pas à se réaliser à cause de nombreuses embuches. Il doit s’occuper de la déficience visuelle de son fils, faire face face aux problèmes d’argent et subir le succès littéraire de sa femme quand lui n’arrive pas à écrire. Un homme en proie à la dépression, et donc au suicide. Sauf que sa femme au tempérament glacial, exprime sa violence lors de disputes et trompe son mari, dans un excès de rage elle pourrait tout à fait le tuer. Ces excès de rage sont réels et se confirment grâce à des enregistrements vocaux qu’on entend lors du procès. Toute l’architecture de ce couple, de leur conflit et de leur amour sonne juste, et les deux causes responsables de la mort de Samuel (le mari) sont réalistes.

J’ai voulu revenir à plus de réalisme, dans le sens quasiment documentaire, que ce soit à l’écriture ou formellement. Mais c’était pour aller plus loin dans la complexité, dans ce que raconte le film autant que dans les émotions qu’il peut produire. Tout a été vers un plus grand dépouillement : il n’y a aucune musique additionnelle, le film est plus brut, plus nu que mes précédents”, a déclaré Justine Triet à propos de son film. C’est donc un film qui dépeint une relation profondément réaliste et fascinante. Surtout, Justine Triet nous dit quelque chose : l’égalité dans un couple est une utopie. Depuis la bataille de Solférino, la réalisatrice fait une fine analyse des rapports humains. Elle a d’ailleurs donné sa vision du couple, une vision noire mais pas fausse : “le couple est un lieu politique ou les tentatives de démocratie sont sans cesse interrompues par les pulsions dictatoriales”. Anatomie d’une chute explore à merveille les rapports de force et de domination au sein d’un couple d’écrivain. La performance d’Antoine Reinartz (l’avocat qui incrimine Sandra la femme) est remarquable. Il fait preuve d’une espièglerie redoutable pour incriminer la veuve de Samuel, sans hésiter à blesser intimement la famille du mort pour être certain de déceler la vérité. Le tout avec un sourire jaune et une rhétorique digne d’un roquet. A la limite de la caricature, néanmoins jouissif à observer.

On aime moins

Ce thriller qui fait très probablement référence à Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger, est un peu long. Bien que très bien rythmé, il a le défaut du film-procès, qui se passe pour la plus grande partie dans une cour d’assise. Si le spectateur n’est pas pris par la joute oratoire qui s’y joue, il ne tardera pas à s’ennuyer. Heureusement les acteurs jouent tous, à aucune exception près, formidablement bien. Sandra Huller (la femme de Samuel) aurait du remporter le prix d’interprétation féminine à Cannes. C’est un très bon film à énigme, un drame criminel, qui pour autant n’a pas l’étoffe d’un film comme Sans filtre de Ruben Ostlund, vainqueur de la précieuse récompense l’année dernière. Certains y voient un bon téléfilm policier, on peut lui reprocher un manque de nouveauté, de fraicheur, d’étonnement autant sur la forme que le fond. En effet les codes habituels de la femme dominée par son mari est rompu, mais dans l’esthétique ou dans la variété des plans, on n’y voit aucune prise de risques ou d’innovations. Pour ne pas dire que la forme est assez morne, presque pauvre. Heureusement, la pertinence des dialogues et du jeu rattrape la lenteur de l’action. Un film à aller voir.

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